Phillip Schroeder : nuance, mystère et grâce...(2)

Publié le 27 Février 2014

Phillip Schroeder : nuance, mystère et grâce...(2)

   (Suite de l'article précédent)  Move in the Changing Light confirme l'impression donnée par le disque de compositions pour piano solo. Phillip Schroeder est étonnant aussi dans le domaine de l'écriture pour ensemble électro-acoustique, avec ou sans voix. Le titre éponyme, en deux parties qui ouvrent et referment l'album dans l'ordre inverse de leur conception,  est à rattacher au meilleur de la musique minimaliste. Les motifs se succèdent, s'entrelacent avec fluidité, virtuosité même. La voix de la soprano se fond, se démultiplie dans le courant lyrique  également démultiplié par l'enregistrement multi-piste (cinq pianos avec système de retardateur). On suit les ondulations d'une plongeuse dans les eaux vives, constellées de perles de lumière, d'éclats. C'est une musique enveloppante, tonique et douce, superbe.

   "Rising, See the Invisible", c'est encore un choc, un moment d'absolue beauté... Une parfaite osmose entre la voix du baryton, les deux pianos avec retard programmé, synthétiseur, vibraphone et violoncelle. La composition coule, oscille, ponctuée vigoureusement par les pianos, structurée sur des intervalles inégaux et des reprises de motif. L'atmosphère est celle d'une intense sérénité, nimbée de grâce mystérieuse, avec parfois un léger voile mélancolique, des suspensions rêveuses. Une pièce à trembler de joie.

   De joie il est question dans la composition suivante, "Where Joy May Dwell", quasiment seize minutes, pour deux pianos et deux autres avec retard programmé, autre chef d'œuvre à tomber dans les astres lointains (façon de parler, bien sûr) !! Le frisson me saisit : c'est à écouter, écouter jusqu'au bout de la nuit. Un piano (ou deux) dans les médiums ou les graves, les autres en arrière-plan pulsent dans une aura lumineuse, giclent, s'élancent, inlassablement. Je ne pourrai vous le proposer en écoute, le fichier est trop lourd pour ma version gratuite. C'est une méditation transcendentale, évidente, toujours enrichie de nouvelles idées, une source qui court sans se soucier d'avancer, un bouquet constamment rafraîchi. Une musique illuminante comme on en entend rarement.  

    "Make a distinction" est un intermède très reichien pour piano et synthétiseur, avant "The Patience It Contains" pour deux pianos, un troisième avec retard programmé, synthétiseur et cymbale suspendue, dans la même veine que les précédents, plus chantant dans la mesure où la pièce prend presque la forme d'un mini concerto pour l'un ou l'autre des trois pianos, les autres instruments l'enrobant d'une traîne orchestrale fluide, irisée, avec de très beaux moments de retenue sur fond de graves veloutés.

   "This We Have" ajoute aux instruments déjà rencontrés la voix de la soprano Amy McGinty, comme dans le premier titre. Une belle pièce animée, mais qui n'atteint pas le niveau des précédentes, peut-être parce que la voix ne fait guère que survoler le reste de ses vocalises, sans imposer sa marque comme dans "Rising, See the Invisible". 

  La première partie du titre éponyme conclut l'album. C'est un ballet féérique pour cinq pianos et synthétiseur, une longue coulée étincelante, chatoyante et puissante, un irrésistible hymne à la vie entouré d'un halo d'harmoniques mêlées, tourbillonnantes. Un bain revigorant dans le torrent des énergies.

   Tout simplement l'un des grands disques de ce début de vingt-et-unième siècle. Phillip Schroeder marie avec bonheur et fougue un minimalisme expansif, très élaboré et personnel, qui joue des diférentes couches sonores avec une confondante aisance, et un lyrisme radieux, intemporel.

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Paru chez Innova Recordings en 2006 / 7 pistes / 63 minutes

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 30 juillet 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques

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