Publié le 27 Juillet 2009

Harmonic 313 : "When machines exceed human intelligence", l'heure de la Désincarnation.
   J'ai découvert Mark Pritchard grâce aux compilations de la Red Bull Music Academy, cette rencontre internationale de DJs sélectionnés qui se réunit chaque année dans une ville différente, avec conférences, concerts, publications, et bien sûr une radio à la clef (vous la trouverez sur le site). Sur la compilation de cette année-là, j'avais tout de suite repéré "Call to arms", et j'attendais avec impatience la sortie du titre sur un cd. C'est chose faite depuis février de cette année, sur l'excellent label électro Warp. J'ai commandé de suite le disque sur une plate-forme connue, mais pas moyen, j'ai dû annuler, puis commander directement chez Warp, ce fut assez long, d'où mon retard, mais vous êtes indulgents, n'est-ce pas ici un quasi-principe philosophique que de ne pas obéir promptement à toutes les sirènes tyranniques de l'actualité?
   Bref, Harmonic 313, c'est l'Australien de Sydney dans sa splendeur électro-robotique. Le voilà dans les pas de Kraftwerk et de bien d'autres, sans doute. Pour une techno-électro-dub minimale comme pour "Dirtbox" et "Cyclotron", les deux premiers titres, bandes-sons idéales pour film de science-fiction avec androïdes et autres créatures d'après l'homme. Coups de fouet rythmiques implacables, primaires, notes en paquets répétés, micro-modules en deçà de l'harmonie. Mais d'autres titres proposent une vision plus lyrique, voire flamboyante, de cet univers libéré de la sentimentalité humaine. C'est le cas notamment de "Köln", le titre 5, où l'orgue sinueux déploie une ligne sombre et mélancolique à l'"arrière des beats désaxés, ou encore du déjà sus-nommé "Call to arms", le morceau-phare, grand jeu cathédralesque de l'orgue qui sonne la charge derrière les percussions glacées et sons graves de basse en bourdon épais qui malaxent nos tripes pour le grand saut dans le trou noir de l'anti-matière, du gothique techno en quelque sorte pour une claque magistrale si vous l'écoutez comme il se doit, c'est-à-dire très fort...
 

"Word problems", qui joue de manière lancinante du vocoder pour épeler le nom du groupe, est un autre grand moment de cet album inspiré : morceau très post-kraftwerkien, quand les robots deviennent presque facétieux, au final meilleur que "Battlestar", honnête morceau hip-hop encore trop humain...avec la participation  de Kat & Elzhi. "Falling away", second morceau avec une participation, celle de Steve Spacek, offre un bref répit presque émouvant quand l'homme réclame sa liberté. Mais la fin de l'album est sans appel : les machines triomphent, et c'est le court titre éponyme et le splendide titre final, "Quadrant 3" : six minutes qui ne dépareraient pas un album d'Autechre, morceau impérial dans son développement méta-mélancolique (si j'ose dire !) pour déblayer toutes les rengaines lacrimo-menteuses. N'ayez plus peur des machines, elles sont la dernière beauté d'un monde ravagé (le lecteur attentif ne manquera pas de voir le lien subtil avec l'article précédent...).

Paru en 2009 chez Warp Records / 15 plages / 60 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 21 Juillet 2009

Jean-Philippe Goude/John Parish /Polly Jean Harvey : la danse divine de la nature des choses.
Le second était en solde chez un disquaire connu. Premier disque acheté depuis bien longtemps dans un magasin, c'est-à-dire depuis mon passage à Internet, il faut bien l'avouer (j'achète en ligne, n'allez pas croire, non, j'aime les vrais disques, avec pochette, notes, pas les fichiers dépersonnalisés, les morceaux orphelins d'albums inconnus...) Le premier se trouvait sur une brocante. D'habitude, c'est le désert pour les musiques inactuelles. Mon dernier achat marquant sur une brocante remonte à la trouvaille de Out of season de Beth Gibbons, un de ces disques qui nous poursuivent, allez savoir pourquoi, quelque chose de fêlé dans la voix, le temps qui roule ses galets d'infini, attrapé dans les filets de mélodies rouillées.
   Bref, me voilà avec deux disques de 1996, le beau hasard en somme, deux fragments d'une année qui s'éloigne à la même vitesse que les autres. 1996 qui semble avoir quelque chose à me dire. En effet, comme j'enlève le cd de Jean-Philippe Goude pour le mettre dans le lecteur, je découvre une citation d'un livre déjà lu plusieurs fois, d'un livre admirable à mes yeux :
   "Quand on aura allégé le plus possible les servitudes inutiles, évité les malheurs non nécessaires, il restera toujours, pour tenir en haleine les vertus héroïques de l'homme, la longue série des maux véritables, la mort, la vieillesse, les maladies non guérissables, l'amour non partagé, l'amitié rejetée ou trahie, la médiocrité d'une vie moins vaste que nos projets et plus terne que nos songes : tous les malheurs causés par la divine nature des choses."
   Quel rapport entre les Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar et la musique de Jean-Philippe Goude, l'extrait pris comme titre mis à part ? Tout semble les opposer : gravité et hauteur chez Yourcenar, légèreté variée chez Goude. Deux voies pour parvenir à circonscrire "la divine nature des choses". Le personnage romanesque est fasciné par les danseurs barbares aux confins des terres danubiennes, par les rites exotiques de peuplades qui pétrissent le mystère sans vergogne. Jean-Philippe Goude, échappé solitaire des terres Magma et Weidorje, joue les cavaliers de l'air. Rien qui pèse, des mélodies simples, qui deviennent parfois ritournelles à la Wim Mertens, morceaux de chambre façon Michael Nyman. Les timbres apparaissent, se mêlent avant de s'éclipser pour distiller mélancolie ou gaieté. L'orgue de cristal cède la place au piano, aux clarinettes, au violoncelle, au xylophone, et à bien d'autres instruments qui sont un peu l'équivalent des différents peuples tant contemplés par Hadrien. Tout cela danse, "je suis chose lègère", "fugace", "léger et disposé", ce sont quelques-uns des titres de cet album sans prétention. Qui a dit que le divin devait être lourd, pesant comme une statue de marbre ? Variété de
chambre à air, si j'ose dire..., pour apprendre à devenir impalpable.
Paru en 1996 chez Hopi Mesa / 15 plages / 55 minutes environ
 
Jean-Philippe Goude/John Parish /Polly Jean Harvey : la danse divine de la nature des choses.

  En 1996, Polly Jean Harvey co-signe avec John Parish "dance hall at louse point", les mots pour elle, la musique pour lui. Un album écorché, intimiste, avec la voix qui dérape parfois vers des aigus sidérants. A la confluence du rock et du blues, c'est un parcours chargé d'émotions, d'électricité, qui n'a rien perdu de sa charge humaine, de sa fulgurance parfois maladroite. Si Goude vous semble trop primesautier, voire inconsistant, plongez chez PJ Harvey et John Parish, c'est l'autre manière d'appréhender la divine nature des choses.

Paru en 1996 chez Island Records / 12 plages / 41 minutes environ
Pour aller plus loin
- Le site officiel de Jean-Philippe Goude.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges

Publié le 7 Juillet 2009

Fink : "Sort of revolution", mais tranquille...
  
Finian Greenall, alias Fink, persiste et signe un nouvel album de chansons entre folk, trip-hop, soul et blues. Après Biscuit for breakfast et Distance and time, Sort of revolution éloigne plus que jamais le gallois de ses platines. Guitare sèche et voix, c'est la base de compositions simples, mélodieuses, étoffées çà et là avec un rare discernement. "Come so far", le premier titre se déploie lentement sur un rythme discret, cordes qui crissent, claquements secs, choeurs en sourdine, petites touches de piano, de Fender Rhodes aussi, avec un côté presque reggae vers la fin. Tout est dit, Fink travaille dans de la belle dentelle. Dès le deuxième titre, "Move on me", on sait qu'on n'oubliera plus ce bijou. Composé et interprété par John Legend au piano, il permet à la voix grave et chaude de Fink de montrer tout son potentiel de séduction bluezzy. Des cordes se joignent à la mélodie hypnotique, puis tout s'efface, ne restent que le piano et les coups frappés sur la guitare pour une coda mélancolique très belle. La guitare, frappée et grattée avec parcimonie, revient en force avec "Six weeks", blues lancinant et dépouillé dont l'économie est prolongée de quelques nappes électroniques. Ce qui frappe à chaque fois, c'est le sens de la mesure, rien d'appuyé, des ajouts qui forcent l'attention plutôt que de l'accaparer. Vous allez me dire, voilà justement la musique, la vraie, je suis d'accord, mais force est de reconnaître que les orfèvres sont rares, que beaucoup de chanteurs / compositeurs travaillent plus avec le bulldozer qu'avec le burin du graveur, non ? "Nothing is Ever finished" étale sa nonchalance feutrée, "temptation happens to everyone", pourquoi se hâter puisque "Baby blue, i want to kiss you", cela s'appelle la sensualité. Deuxième chef d'oeuvre avec "See it all", piano à nouveau, en boucles rapides, coups frappés sur la caisse de la guitare, la voix nue, presque a capella entre les cellules harmoniques, le morceau s'amplifie par brefs moments lyriques, cymbales rares, batterie sèche, fin chorale à tendance minimaliste superbe. "Q&A" , claquements de mains, murmures en chœurs sourds, coups métalliques, est le morceau le plus soul ou gospel, là encore très tenu, aéré, émaillé de trouvailles sonores par touches légères. De la musique à déguster avec toutes nos papilles auditives, affalé dans un divan moelleux, en bonne ou mauvaise compagnie !! "If I had a million" fait claquer les cordes, la voix se laisse glisser dans des répétitions lancinantes, et je ne crie pas au scandale, car la pauvreté, on la sent un choix esthétique, pas une limitation de l'inspiration. Battements et intrusions sonores diverses animent le frémissant "Pigtails", marqué par une splendide micro-intervention d'harmonica. Ouverture à l'orgue électrique pour "Maker", joli morceau à nouveau très soul, avec une allure dub marquée et une courte flambée de guitares électriques un peu avant la fin. L'album se conclut par "Walking In the Sun", voix  - cette voix qui me fait penser à Chris Whitley, et guitare, à la fois dépouillé et si chaleureux, que de courts fragments choraux tirent à nouveau vers le gospel. Le parcours est impeccable, aucun morceau faible, pas de remplissage.
Paru en mai 2009 chez Ninja Tune / 10 titres, environ 50 minutes.

 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours