Publié le 19 Février 2013

Piiptsjilling, la langue musique

   En 2008, la collaboration entre Machinefabriek (guitare, effets, ordinateur portable) et Jan Kleefstra (textes et voix), assistés de Mariska Baars (guitare et voix) et de Romke Kleefstra à la guitare, était parue sous le titre Piiptsjilling, depuis devenu le nom de leur groupe, nous en reparlerons.

  Retour à la source, d'abord, à ce disque atypique constitué d'un seul long titre de plus de trente minutes qui associe les poèmes en frison de Jan Kleefstra et la musique de Rutger Zuydervelt, musicien que je retrouve associé à bien des expériences passionnantes de ces dernières années, que l'on songe à ses magnifiques collaborations avec Peter Broderick notamment.

   "piiptsjilling", c'est le nom frison d'une sorte de sarcelle. Jan lit ses poèmes d'une belle voix calme, des poèmes que l'on peut suivre grâce au livret trilingue (frison / néerlandais / anglais), sur un fond sonore composé de boucles de guitare, de drones et de longues traînes sonores : c'est une mer brumeuse recouverte d'un ciel impalpable se fondant en elle ; la terre n'existe qu'à l'état de lignes à demi dissoutes. Dans cette fusion des éléments adviennent des objets célestes improbables en vrillant l'espace de leurs turbulences lentes obscures. Battements, micro crépitements, nappes d'orgue râpeuses, guitares lumineuses, tissent une ambiance introspective d'une grande beauté simple. On marche sur la mer ou dans le ciel, les pieds dans la poudre des polders. Seule la lumière trouble, chargée de particules vaporisées, existe, encore est-ce à peine. La musique n'est peut-être après tout que celle des vieux microsillons dont les craquements se font entendre sur la fin de cette composition qui n'en finit pas d'apparaître-disparaître. La trame du temps s'est perdue dans la pâte phénoménale. Une expérience musicale fascinante, conduite de main de maître par un Rutger Zuydervelt au meilleur !

   Voici le premier poème de Jan :

 

Hast nachts de see sjoen
bist dyn libben lang ûnderweis
nei frjemde grûn

 

dreamst oer lytse weagen

 

yn it slimste gefal skynt de sinne
ast it bloed út dyn eagen triuwst

 

kinst yn myn hân sliepe
bist wol faker foar
de kriich weikrûpt

 

it bloed al op de lippen

 

earne de rûs fan see boppe dyn holle
as de dei noch ien kear wekker wurdt

 

krijst dyn eagen net mear ticht
dyn mûle net mear iepen

/

You've seen the sea at night

you've been heading your whole life

toward foreign soil

 

you dream of gentle waves

 

in the worst case the sun will shine

when you push the blood from your eyes

 

you can sleep in my hand

you've slunk away from

more than one battle

 

your lips already bloodied

 

somewhere the slap of the sea above your head

as the day awakens one more time

 

your eyes will no longer shut

your mouth no longer open

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Paru chez Onomatopee en 2008 / 1 titre / 32 minutes environ

Pour aller plus loin

- le blog de Romke Kleefstra, qui présente l'actualité musicale liée aux deux frères, où l'on retrouve bien des musiciens de ces pages...

- ma chronique de Weerzien d' Anne Chris Bakker

- une vidéo de Johan van Aken pour l'album, présentée au Frisian Film Festival de 2009 :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 juin 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 15 Février 2013

Tom Johnson - An Hour for piano

Ou Quand l'écrit se fait aussi minimaliste que la musique...

   J’ai découvert Tom Johnson à l’écoute du coffret  Minimal Piano Collection  de Jeroen Van Veen. L’œuvre présentée, An Hour for Piano, est une pièce pour piano d’une heure comme son nom l’indique non sans humour. Malgré sa simplicité (non son simplisme), et sa rigueur (mathématique), la musique de Tom Johnson est néanmoins empreinte d’une certaine « joie de vivre ».

  Mais il existe une autre version de An Hour for Piano, celle de Frederic Rzewski, lui aussi compositeur et ami très proche de Tom Johnson. Cette version, enregistrée en 1974 fût éditée en vinyl en 1979 par le label Lovely Music qui donne les explications suivantes :

« L’interprétation de Rzewski en seulement 54 minutes alors que la partition donne régulièrement des indications de temps pour que le pianiste l’achève en exactement 60 minutes, était parfaite pour la parution en vinyle de 1979, parce que nous voulions garder le projet d’un album simple. Aujourd’hui avec le CD, nous trouvons que cette interprétation est en un sens historique et a une sonorité particulière qui ne peut être remplacée. »

   Et, effectivement, la comparaison n’est à mon avis pas à l’avantage de la version de Jeroen Van Veen. L’interprétation de Rzewski est plus tonique, rapide, vivante, en un mot jubilatoire, ce qui on en conviendra s’accorde particulièrement  bien à cette « joie de vivre » dont je parlais plus haut.

   Mais là ne s’arrête pas l’intérêt de la version de Rzewski. Le deuxième intérêt est la présence dans le livret du CD du texte que Tom Johnson a écrit pour An Hour for Piano. Ce texte d’une dizaine de pages (que Johnson appelle Programm Notes, notes de programme)  est un complément essentiel de la musique de Tom Johnson.

   An Hour for Piano est en fait une œuvre double, texte et musique. Mais à la différence des œuvres de Tom Johnson avec narrateur (comme Narayana’s Cows où un narrateur expose un problème mathématique et les instruments en donnent la solution), texte et musique sont ici indépendants. Le texte, comme le dit Tom Johnson, est fait pour être lu pendant l’écoute de la musique. L’auditeur n’écoute pas un narrateur, il devient acteur en lisant les notes de programme tout en écoutant la musique. Ces « Program Notes » (qui sont sous-titrées : A lire en écoutant An Hour for Piano) sont une partie à part entière de l’œuvre et non pas une explication de la musique, comme peuvent l’être habituellement les programmes.

   Malheureusement, le texte est en anglais et non traduit dans le livret du CD. Mais minimaliste et répétitif, il est relativement facile à comprendre pour qui se débrouille en anglais ! Il débute ainsi :

   « Il est important que vous essayiez de ne pas permettre aux notes de programme de vous empêcher de vous concentrer sur la musique. Elles sont conçues pour augmenter votre capacité à vous concentrer sur l’œuvre, et non pas pour vous en distraire. Si vous trouvez que lire les notes de programme n’augmente pas votre capacité à vous concentrer sur la musique, vous ne devriez pas continuer votre lecture pour le moment. »

Et ainsi de suite….Un peu plus loin :

« Peut-être trouverez-vous que certaines sections dans les notes de programme augmentent votre capacité à vous concentrer sur la musique plus que d’autres sections. Peut-être trouverez-vous que les notes de programme augmentent votre capacité à vous concentrer sur certaines sections de la musique plus que sur d’autres. Peut-être trouverez-vous que certaines sections dans les notes de programme sont d’une aide particulière quand elles sont lues conjointement avec certaines sections de la musique. »

   Et ainsi de suite…. Encore un peu plus loin :

« La musique que vous écoutez maintenant est probablement très similaire à certains passages que vous entendrez plus tard. Vous trouverez que c’est plus intéressant pour vous maintenant que cela ne le sera plus tard. Ou peut-être trouverez-vous que ce sera plus intéressant plus tard que cela ne l’est maintenant. »

Et ainsi de suite pendant dix pages pour finir sur cette phrase :

« Vous trouverez peut-être intéressant de remarquer quelles sortes de pensées ont traversé votre esprit. »

   C’est au choix absurde, ironique, amusant, jubilatoire ; c’est le reflet exact de l’esprit de la musique, à la fois toujours et jamais la même chose. Cette œuvre double, musique et texte, est la meilleure introduction qui soit à l’œuvre de Tom Johnson : minimaliste, répétitive et aussi pleine d’humour.

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Paru chez Lovely Music en 1979 (vinyl) / 2000 (cd) / 1 titre / 54 minutes

                                                                                                                    Une chronique de Timewind

Pour aller plus loin

- la page du label Lovely Music consacrée au disque, avec en écoute intégrale l'interprétation de Frederic Rzewski

- le livre de Bernard Girard, Conversations avec Tom Johnson (AEDAM Musicae, 2011)

- An Hour for Piano interprété in extenso par R. Andrew Lee :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 2 juin 2021)

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Publié le 11 Février 2013

Greg Haines, l'évidence du sublime.

    Greg Haines, musicien anglais né dans les années 80, vit à Berlin depuis 2008. C'est dans cette ville qu'il a fait la connaissance de Nils Frahm, qui lui a prêté main forte pour l'enregistrement de son second long opus, Until the point of Hushed Support, paru en 2010 chez sonic pieces. L'album a été enregistré dans la Grunewaldkirche - ce qui devrait vous ramener à  Vorleben, chroniqué voici peu. La particularité de son parcours est d'avoir associé très tôt à ses études de piano et violoncelle un goût prononcé pour les sons les plus divers et des textures qu'il collectionne pour les fondre dans ses compositions. Sa musique est donc électro-acoustique, mais l'étiquette prête à confusion : loin d'écrire des pièces absconses, en cela inspiré par les musiciens qui l'ont guidé - en premier lieu Arvo Pärt, mais aussi, nettement plus secondairement à mon oreille, Philip Glass ou Gavin Bryars, il se situe dans une mouvance néo-classique au sens le plus noble du terme, indifférent aux querelles de chapelle.

Until the point of Hushed Support est la rencontre entre huit instrumentistes, une vocaliste et des sons électroniques : là est son indéniable modernité. Pour le reste, son œuvre est d'inspiration quasi mystique, comme l'indiquent les titres des pièces. L'écriture est très marquée par l'influence d'Arvo : lignes amples et simples, crescendos parfois fulgurants, rôle fondamental de l'orgue d'église qui lui donne son allure majestueuse. Percussions parcimonieuses mais puissamment dramatiques, unissons et canons, cette impression d'élans vers le ciel, souvent troués  par des moments méditatifs, tout cela forge une musique à la fois forte, belle, et intériorisée : c'est une âme qui s'épanche dans ce chant fragile surgi entre deux lignes brouillées. Qu'est-ce que "Marc's descent", si ce ne sont les efforts successifs d'un être qui, tout au long de sa chute, aspire à la remontée, cherche à inverser le mouvement, tournoyant dans un mouvement bouleversant, parfois à demi vaporisé dans une extase ineffable ? "In the event of a Sudden Loss" est le prolongement évident du précédent : la pièce s'ouvre par quelques minutes de suspension envahies par des sons intrigants, mais on entend des cloches, un gong, une voix s'élève à l'arrière-plan. La perte est un événement fondateur ( à noter ma lecture d'affilée des titres indiqués sur la pochette : Marc's descent / In the event of a Sudden Lost / Until the point of Least resistance) qui impulse une énergie dont la composition déborde : immense reconquête, ivresse de l'aimé qui saisit l'occasion de sa chute pour chanter des louanges grandioses avant de se fondre avec humilité dans le décor environnant, avec ces pianos transparents sertis de sons mystérieux decrescendo. Le dernier titre poursuit quelque chose qui l'apparente à The Vanishing Point (jusque dans les titres) de Under the Snow, mais avec des moyens instrumentaux hors de proportion : cordes somptueuses, tintinnabulement des choches diverses, ruptures et rejaillissements, ralentis d'une suavité confondante, du Arvo Pärt converti à l'arsenal des musiciens d'aujourd'hui (je n'insinue nullement qu'Arvo soit un musicien d'hier, il est inactuel...) J'adore cette longue recherche du point de moindre résistance, avec ces moments de suspension de tout quand nous écoutons les cloches si doucement carillonner, avant l'ultime poussée du saxophone notamment, comme un écho déformé des trompettes bibliques. Un album essentiel...

Greg Haines, l'évidence du sublime.

        Paru en 2012 chez Preservation RecordsDigressions est le troisième album de ce jeune musicien prodige. Certains critiques ne sont pas tendres avec cet opus qui pourtant, à défaut d'étonner (? Pourquoi l'étonnement serait-il d'ailleurs un critère d'appréciation artistique ? Je referme la parenthèse), poursuit assez logiquement une trajectoire vraiment originale. Enregistré à Berlin par Dustin O'Halloran, il affronte l'écriture exigeante pour un ensemble de chambre assez étoffé. Placé sous les auspices (??) du moine bénédictin Pellegrino "Ernetti", également musicologue et exorciste, puis de "Caden Cotard", metteur en scène aspirant à créer une œuvre d'une intégrité absolue (c'est Wikipédia qui le dit), la même veine nettement mystique s'y fait jour et j'entends dans ce dernier titre une avancée vers l'impalpable qui me propulse du côté d'un John Luther Adams, le meilleur, celui de For Lou Harrison. Je ne sais pas s'ils se connaissent. "183 Times" (Vraiment ? Je n'ai pas compté..) est ponctué par le piano faisant office de percussion à partir d'une seule note plus ou moins forte, prolongée d'harmoniques, tandis que le violon survole l'ensemble d'un vol lyrique presque langoureux : c'est simple, et très beau, je m'en contente, j'y entends presque du Pink Floyd (mais quel titre ??), c'est de plus en plus net au fil de l'écoute. "Azure" commence par de légers battements percussifs, un rituel indien peut-être (mon imagination...), peu à peu étoffés, plus distincts, auxquels viennent se mêler d'autres instruments dans un brouillard instrumental serti de saillies lumineuses : très...étonnant, justement. Magnifique fragilité, textures diaprées, frémissements : et on ferait la fine bouche ? C'est parfait dans son genre, cet état de grâce translucide qui se cristallise en passages pulsants sur la fin, avec une montée en solennité impressionnante suivie d'une brutale retombée loin de l'azur inaccessible. "Nuestro Pueblo" commence avec un piano voilé, hésitant, comme certains morceaux de Peter Broderick (qui le soutient aussi activement) : un chant se cherche sur un fond immense, nuages, nébuleuses, des instruments très loin, puis les textures se rapprochent, distordues, autour du piano balbutiant, assailli de toutes parts dirait-on, mais que rien ne distrait de sa recherche, imperturbable et seul au milieu d'une tourmente magnifique et poignante, superbe évocation de la destinée humaine. Tout à fait digne du précédent !!

   Greg Haines écrit indéniablement une des plus belles musiques qui soient.

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Until the point of Hushed Support : paru chez sonic pieces en 2010 / 4 titres / 48 minutes environ

Digressions : paru en 2012 chez Preservation Records / 5 titres / 55 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site personnel de Greg Haines. (avec pas mal de choses en écoute si vous cliquez sur "Listen")

- albums en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 mai 2021)

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Publié le 9 Février 2013

Poppy Ackroyd - Escapement

   Connue pour sa participation au Hidden Orchestra, collectif électro ambiant teinté de jazz, où elle tient les claviers, Poppy Ackrod est une jeune musicienne originaire de Londres qui a reçu une éducation musicale « classique » et appris le piano et le violon.

    Escapement est son premier album solo, enregistré au Durton Studio de Nils Frahm à Berlin. Uniquement à partir d’un piano et d’un violon, et en utilisant de multiples pistes, elle fait surgir un petit orchestre de chambre.

    Poppy Ackroyd ne prépare pas son piano comme John Cage, mais elle joue directement à l’intérieur de celui-ci,  comme le fait Stephen Scott. En pinçant, frottant les cordes, en les frappant avec des baguettes, elle crée une musique de chambre où l’on entend, outre le piano et le violon, des percussions, guitares, clavecin, et une touche d’accordéon. Elle crée ainsi une musique à la fois simple et riche aux sonorités chaleureuses, une musique douce amère avec une petite touche de nostalgie.

    Escapement est concu comme une succession de miniatures (sept titres de 3 à 5 minutes). Le disque s’ouvre sur « Aliquot », comme une introduction en forme de synthèse de l'album, une découverte des sonorités que l’on entendra tout au long du disque. Avec « Rain »,  Poppy Ackroyd tisse une toile sonore, entre brouillard d’ondes et pluie, soutenue par des percussions. « Seven » où le piano sonne un peu comme celui de Nils Frahm sur Felt (on entend autant les touches et les marteaux du piano que les notes produites). Sur « Glass Sea », les frottements des cordes (du violon ?) lancent des gémissements et rappellent les cris des oiseaux marins ou les grincements des coques de bateaux. « Lyre » nous fait entendre des sonorités de harpe et de clavecin désaccordé. Plus terrien, « Grounds », avec son fond sonore électro apporte une touche un peu plus sombre. Et le disque se finit sur « Mechanism », les sonorités d’un piano mécanique et la nostalgie d’un air d’accordéon dans le lointain.

    Avec sa pochette en noir et blanc, dessins d’un mécanisme de piano en déconstruction, Escapement, « échappement », suggère plutôt l'évasion, celui de tout un univers sonore qui s’évade d’un piano devenu magique.

Paru en décembre 2012 chez Denovali Records / 7 titres / 31 minutes

Une chronique de Timewind

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Pour aller plus loin

- le site de Poppy Ackroyd

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 mai 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques

Publié le 5 Février 2013

Dustin O'Halloran - Vorleben

   Publié une première fois en 2010 dans une édition limitée à 450 exemplaires du label berlinois sonic pieces, Vorleben, du pianiste américain Dustin O'Halloran est encore disponible en cd sur FatCat depuis 2011, qu'on se le dise. J'avais apprécié Lumiere paru sur le même label : j'ai vraiment un coup de cœur pour Vorleben, enregistré en concert dans la Grunewaldkirche de Berlin.

   Dès "Opus 54" qui ouvre l'album, il y une évidence, une clarté bouleversante. Cette mélodie poignante filée au long de boucles fluides revient vous assaillir, vous envelopper dans ses lassos de lumière. Oh, rien de révolutionnaire ou d'avant-garde, des pièces davantage dans la tradition d'un Chopin - "Opus 21" et sa valse langoureuse, rêveuse - d'un Bach dont la rigueur imprègne "Opus 17", sorte de mini fugue, ou dans celle d'un minimalisme à la Philip Glass dans le très bel "Opus 28". Autant de pièces que le pianiste enfile pour en faire un collier de pierreries : les enchaînements sont limpides, l'émotion ne faiblit jamais. On se laisse porter par ce lyrisme qu'on pourrait trouver facile s'il n'était pas d'une si désarmante sincérité, totalement dénué d'afféterie. Cela s'entend, l'église retient son souffle pour se laisser remplir par la beauté de ce piano touché avec tant de respect. La sensibilité frémissante n'exclut pas la fougue comme dans le très beau développement choral, quasi pulsant dans la seconde partie de "Opus 3", la plus longue composition avec ses cinq minutes et cinquante secondes, développement qui prend pour finir une tonalité plus introspective. "Opus 37", qui termine le programme, se situe quelque part entre Janacek...et nous : interrogatif, pudique, au seuil du silence et des applaudissements finaux, heureusement éliminés entre chaque composition. Faites écouter ce disque, vous verrez qu'il séduit des gens aux goûts très différents parce qu'il frappe à la bonne porte, celle des sentiments humains. On comprend que Dustin soit sollicité pour écrire des musiques de film : sa musique fait vibrer le meilleur en nous. Trois titres se retrouvent d'ailleurs sur la BO de Marie-Antoinette de Sofia Coppola. À noter que le concert a été enregistré à l'occasion de la fête organisée pour la sortie de l'album The Bells de Nils Frahm, et sur le même piano, en présence notamment de Greg Haines...

Paru en 2010 chez sonic pieces / Reparu en 2011 chez FatCat / 10 titres / 36 minutes environ

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Pour aller plus loin

-  comme pour mon dernier article, je cède à l'envie de lui associer une œuvre, une photographie : Maya Deren (née Eleanora Derenkowskaia, à Kiev en 1917, morte à New-York en 1961, importante réalisatrice de films expérimentaux dans les années 1940 - 1950) photographiée par son mari Alexander Hackenschmied, photographe autrichien né à Linz en 1907 et mort à New-York en 2004. Trouvée sur la page Facebook de Theater of the Sublime.

   Le lien, c'est l'émotion :

 

Dustin O'Halloran - Vorleben

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mai 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Le piano sans peur, #Des Classiques pour Aujourd'hui