Carla Bozulich : sibylle foudroyée de l'ère crépusculaire.

Publié le 18 Février 2009

Carla Bozulich : sibylle foudroyée de l'ère crépusculaire.
  Un jour, j'entends, je n'entends plus que cela, alors que ça parle, que monte du rez-de-chaussée le brouhaha des visiteurs : une voix éraillée, un orgue en nappes tordues. Je demande de qui il s'agit. On me répond qu'elle s'appelle Carla Bozulich, que le morceau se trouve sur un disque sorti en 2006, Evangelista. Depuis, elle m'habite, et son dernier disque, sous le nom de groupe d'Evangelista (c'était aussi le titre d'un morceau en deux parties sur le disque éponyme), n'arrange rien !
   La pochette d'Evangelista, son troisième album solo annonce l'univers sombre, tourmenté, halluciné même, de Carla Bozulich. "Evangelista I" fournit une ouverture théâtrale : orgue insinuant comme un brouillard insidieux, cloches, on frappe, ça frappe, des bruits viennent des recoins, puis la voix s'élève, incantatoire, fêlée, sur fond de guitares saturées, de cordes mugissantes, puis le silence lourd, la voix qui murmure et qui supplie, s'enfle en cris rageurs, déchirés, tandis que des échantillons d'un prêche de 1936 retentissent à l'arrière-plan. Enfin, l'orgue se déchaîne, la voix se fait imprécatrice, le ciel est zébré d'éclairs. "How to survive being hit by lightning" sera d'ailleurs l'un des titres suivants de cet album à l'ambiance millénariste, prophétique. Le post-rock(punk) gothique se mâtine de blues et de gospel, dit la lancinante recherche de l'amour, de lumière dans un monde de ténèbres. Evangelista frappe par sa sincérité à vif, son refus des formules musicales attendues, sa recherche de timbres instrumentaux, de climats. Dans cet opéra post-brechtien de fin du monde, l'ombre de la grande Nico plane et The Silver Mount Zion Memorial Orchestra rôde, ayant collaboré à l'album avec quelques musiciens, dont sa tête pensante, Efrim Menuck - lequel ne se contente pas d'intervenir au piano, mais a enregistré le disque à Montréal, Jessica Moss au violon ou encore  Thierry Amar  à la contrebasse.
Paru en 2006 chez Constellations / 9 plages / 49 minutes environ
Pour aller plus loin :
 
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
Carla Bozulich : sibylle foudroyée de l'ère crépusculaire.
Efrim a présidé à la naissance du nouvel album de Carla, "Hello, voyager", sorti en 2008 toujours chez Constellation. On y retrouve des musiciens de The Silver Mount Zion, et, nouveauté,  la participation de la bassiste Tara Barnes, qui a collaboré à l'écriture de quatre des neuf titres. Carla, en plus des guitares électriques, joue de l'harmonium sur deux morceaux, ce qui n'est pas sans rendre la référence à Nico plus sensible encore. Les textes prennent une place plus importante, reproduits sur le dépliant illustré typique du label (près de cinquante centimètres de haut déplié, le verso entièrement recouvert du long texte visionnaire du dernier titre, éponyme). La palette des compositions s'est encore élargie. Ouverture déchirante dans une atmosphère de folie claustrophobique avec "Winds of Saint Anne", harmonium, craquements, guitares hurlantes, écorchées, " Happily buzzing thru the dark sky with my hand in my pants. / I can't dance but I can blow like the wind. / Pay no attention to the trouble I'm in.", mais aussi chansons intimistes, dépouillées, fragiles, comme "The Blue room" ou "Paper Kitten Claw", cette marche à tâtons obsédante, illuminée par les envolées de l'orgue de Nadia Moss (à laquelle on doit les peintures de la pochette)et des violons de Jessica Moss (sa soeur ?). Mais aussi le magnifique instrumental "For The Li'l Dudes" où contrebasse, violoncelle, alto et violons tissent un quintette grave à la Gavin Bryars. Mais encore la déflagration inoubliable de "Hello, voyager" où l'évangéliste Carla nous somme de regarder la réalité en face : "Voyagers!!! Set down upon the earth. Open your cramped legs locked in that flying suit of lights. Open your eyes, adjust your eyes to the dark." Texte flamboyant, d'une urgence absolue, brutal et grandiose, qu'on pourrait trouver excessif s'il n'était pas si en phase avec un monde qui déraille. Tous les prophètes ont toujours été méjugés, vilipendés par ceux qui n'aiment pas être dérangés. Il y a dans cette mise à nu de ses penchants les plus profonds non pas une complaisance sordide, mais un désir irrépressible de vérité, d'en finir avec les faux-semblants qui sont aussi ceux de la société toute entière, des églises mêmes : " The church runs unchecked and tax-free and I hardly notice the irony of it anymore because I'm busy thinking that my scarf doesn't match my jacket. "
   Parce qu'à la fin " We'll stand upon this brutal skull planet as we really are and laugh - strange light pushing out, sitting up on the highest pile of junk and watching the fast moving sky rolling in a storm of perfect, lethal dust and rain "...Carla Bozulich est une authentique inspirée, dans le sens le plus noble du terme, âme d'une musique sans pareille, chaudron cosmique qui réconcilie punk, post-rock, musiques expérimentale et contemporaine. Brûlures indélébiles garanties, mais salutaires !
Paru en 2008 chez Constellations  / 9 plages / 42 minutes environ
Pour aller plus loin :
 
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 décembre 2020)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

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