Dani Joss : "Shaper of form", tout un monde d'épiphanies limpides.

Publié le 4 Mai 2009

Dani Joss : "Shaper of form", tout un monde d'épiphanies limpides.

   Deuxième disque de l'allemand Dani Joss après Liquid photography sorti en 2004 sur le remarquable label grec Poeta Negra, Shaper of form, sorti en 2006 sur le même label, est une révélation majeure, pas très facile à se procurer (absent des grandes plates-formes, l'une d'entre elles ne proposant que des MP3s du premier album, mini-album pour être exact).
 

Dani Joss est bien un fabricant, un créateur de forme(s), comme l'indique le titre du disque. Aucune forme préétablie, reconnaissable, ne structure des morceaux qui évoluent enveloppés de silence. Des sons surgissent et s'ordonnent dans l'espace, viennent offrir leurs textures, esquissent peut-être une histoire : apparitions, disparitions, dans un climat de hiératisme merveilleux, d'intense concentration. Rien d'appuyé, la sobriété est de mise, qui met en valeur le grain des instruments, la finesse de la mise en scène. Chaque morceau se fait incantation grâce à une véritable symbiose entre sons acoustiques et électroniques. C'est dire qu'il est malaisé de classer une telle œuvre. Six musiciens grecs, au piano, basson, cymbales frottées, percussions, violoncelle, fournissent la trame acoustique, tandis que Dani Joss assure l'environnement électronique. "Souls" ouvre l'album : sur continuum d'orgue, le piano picore quelques notes en boucles lentes, le violoncelle joue pizzicato, claviers et drones se croisent dans une atmosphère orageuse, des bruits éclatent comme de petites bulles, des pas s'éloignent, une porte grince. Cinq minutes huit secondes pour entrer dans la chambre hantée, dans cette musique habitée, dépaysante. "Circles / Fingers" commence par une stridulation aigüe et douce à la fois, ponctuée de clochettes cristallines, vibrantes. Un vent grave se lève au loin, un gong rejoint le concert de clochettes, chants d'oiseaux synthétiques, pépiements, grincements, battements liquides comme des envols lourds, coda de crépitements rythmiques. La musique est constamment passionnante, parce qu'elle semble toujours naissante, couler de source, libre d'aller où elle veut. "Expectations" a des airs de musique tibétaine avec ses cymbales, son arrière-plan de chants de drones. Troué de brutales interruptions, il renaît chaque fois plus intense, agité dans la seconde moitié de ses un peu plus de cinq minutes par de puissantes percussions. Dani Joss relève à l'évidence autant de la pure musique contemporaine que de la seule sphère électronique par ce souci des textures, ce goût constant de l'expérimentation. Je songe en l'écoutant à l'univers de Kaija Saariaho, par exemple. L'album culmine avec les douze minutes de "Misconception population". Formidable ouverture de basson et drones, fanfare solennelle parcourue de déflagrations somptueuses, de déchirements dramatiques. Des chuchotements s'invitent,  un texte poétique semble se dire, tandis que les sons électroniques tissent un réseau mouvant d'aigus à la limite du perceptible. Reviennent les clochettes, tintinnabulantes, un tambour bat quelque part, les claviers nous encerclent, le temps s'étire, fasciné par la musique envoûtante et envoûtée, peu à peu parasitée par des grappes minuscules de notes d'une sorte de xylophone.

Lecteurs, vous êtes habitués à mes chroniques enthousiastes - je ne chronique ici que ce qui me plaît, notez-le bien, mais j'essaie de les graduer, et quand je lâche le mot de "chef d'oeuvre", j'aimerais qu'il ait encore pour vous tout son sens. Les belles musiques ne sont pas rares pour ceux qui cherchent vraiment, les chefs d'oeuvre le sont un peu plus. "of change", le cinquième titre, confirme l'impression. Cohérence globale d'un projet ambitieux, déconcertant sans doute pour tous ceux qui attendent des schémas musicaux, magnifique et stimulant pour ceux qui s'abandonnent à la splendeur de ces épiphanies limpides. "approxima" s'approche de la musique industrielle par son atmosphère saturée de percussions sauvages, de bruits métalliques, avant d'être transformé par l'irruption sans appel du piano qui nous transporte vers les carillons de "destinations", court morceau de moins de deux minutes où apparaît une improbable guitare. Et c'est "of goodbyes", entrée magistrale au piano, cordes genre dulcimer avec une parcimonie brouillée, élégie tremblée qui prend des allures de thrène antique très retenu, digne. Second sommet de ce disque admirable, qui rejoint mon panthéon personnel d'œuvres nécessaires !!

Paru en 2006 chez Poeta Negra / 8 plages / 42 minutes environ
Pour aller plus loin :
- le site de Dani Joss.
- le très beau site du label Poeta Negra semble avoir disparu (il fonctionnait encore voici peu, et on pouvait commander... à condition d'être patient, environ trois mois et demi avant de voir arriver les galettes convoitées ! Le label lui-même a cessé ses activités en 2008.

- album en écoute et en vente sur bandcamp (fichiers seulement, plus rien de physique):

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 décembre 2020)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques

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