Nico Muhly - Mothertongue

Publié le 14 Octobre 2010

Nico Muhly - Mothertongue

        Languemusique !

   Mothertongue, paru en 2008, est le second disque de Nico Muhly, ce jeune compositeur prodige qui nous a déjà valu l'excellent Speaks volumes, paru l'année d'avant sur le même label Bedroom Community / Brassland. C'est un véritable oratorio de voix venues de très loin, du plus profond de nous. Des voix-instruments, des voix-émotions.

   Le titre éponyme, qui se développe en quatre mouvements pour un total de dix-neuf minutes environ, se veut une archéologie de notre banque de souvenirs. Nico s'est sondé lui-même : en résultent deux pages pleines de nombres, adresses, noms d'états, liste de capitales des pays de l'Afrique de l'Ouest, numéros de téléphones, de sécurité sociale, codes, bref de tout ce qui nous constitue, se dépose au fond de notre mémoire. Harpe, hautbois, cordes, les claviers de Nico et la basse électrique de Valgeir Sigurdsson accompagnent la mezzo-soprano Abigail Fischer dans cette composition somptueuse que j'ai envie de qualifier de micro-reichienne. Pulse reichien en effet, balbutiements démultipliés, enchevêtrement des textures sonores qui magnifie les timbres grâce à une écriture d'une exceptionnelle précision et densité. L'élève, à l'évidence, égale le maître, voire le surpasse (Est-ce possible ?? Blasphème !) par la variété des effets, le sens de la surprise.

   "Wonders", trois mouvements pour quinze minutes, est tout aussi splendide, d'une inventivité débordante. Clavecin, céleste, claviers entourent le trombone et la voix de Helgi Hrafn. Si le point de départ est un madrigal de Thomas Weelkes (1575-1623), Nico Muhly subvertit sans cesse avec une virtuosité confondante la forme classique. Et ce trombone, boisé, profond, qui accompagne les peurs éprouvées par le voyageur circulant dans les climats extrêmes des environs de l'Islande que le texte évoque, quelle trouvaille ! Merveilles, merveilles ! Après les "New things & New tidings", voici le diable importunant un cocher, le morceau qui part en quenouille, envahi par le trombone, le clavecin harcelant. La complainte de l'évêque de Chichester contre le compositeur Weelkes, ivrogne et d'une attitude dégoûtante en présence des enfants, devient une méditation lancinante traversée de voix superposées, entrecroisées, polyphonie vertigineuse ponctuée par les accents puissants du trombone.

   Comme si tout cela ne suffisait pas, le disque se termine par "The only Tune", une chanson folk explosée, très inspirée par Three Tales, l'un des chefs d'œuvre de Steve Reich. La chanson a marqué Nico dans son enfance à cause du contraste entre la limpidité tranquille de la mélodie et la violence du texte, l'histoire de deux sœurs dont l'une pousse l'autre dans la rivière pour la noyer. La ratiocination minimaliste est parfaitement adaptée à ce récit traumatisant. L'ambiance hallucinée de l'ensemble, la déconstruction en restituent les tréfonds ténébreux avec le meunier repêchant le corps grâce à sa longue, longue gaffe ("with his long, long hook").

   Quel disque ! Ce coup de maître confirme le talent de ce jeune compositeur qui fait si bien son miel de tous ses souvenirs musicaux.

Paru en 2008 chez Brassland / Bedroom Community / 10 titres / 49 minutes

Pour aller plus loin

- la page du label Brassland consacrée à l'album, très bien renseignée.

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales

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