Publié le 19 Janvier 2016

The Necks - Vertigo

   Dix-huitième album du trio de jazz expérimental de Sidney The Necks, Vertigo a de quoi me réjouir. D'abord parce que les étiquettes ne tiennent pas devant cette marée sonore de plus de quarante minutes. Certes, le jazz renvoie à une pratique de l'improvisation, mais dont il n'a pas le monopole. Si improvisation il semble ici y avoir, force est de constater qu'elle renvoie plus évidemment du côté d'une pop expérimentale ou des musiques expérimentales en général. Par ailleurs, la couleur de l'ensemble renvoie aux musiques ambiantes, voire aux musiques électroniques à base de drones, même si les drones sont semblent-ils générés ici à partir des instruments acoustiques exclusivement comme semble le dire la présentation de bandcamp.

   Bref, le résultat est une musique de traverse, selon la belle formule d'un ancien festival de musique. Et quelle musique ! Sous-tendue par un flux de drones, elle charrie couleurs et textures, animée par les interventions de Chris Abrahams au piano et aux claviers, de Tony Buck à la batterie, aux percussions et à la guitare électrique, de Lloyd Swanton à la guitare basse et à la contrebasse. Comme une mer étoilée qui scintille - sur les quatre plats de la pochette ! - elle est tour à tour lumineuse ou obscure, calme ou agitée, parcourue de frissons, de friselis de clochettes, d'arpèges souverains, de cassures et soulèvements soudains. Elle gronde, ronronne, chante, halète. La même et toujours différente. Sa surface laisse émerger sans cesse des motifs qui s'entrelacent, acquièrent une vivacité incroyable. Vertigo est un hymne à la renaissance perpétuelle, aux métamorphoses. La lumière ne cesse de triompher des ténèbres sous-jacentes, informée par elles devrait-on dire pour ne pas sombrer dans un dualisme qui ne convient pas ici. Les drones, profonds et graves, ne sont pas noirs ou sombres pour autant : ils sont le substrat, la matière première que les instruments découpent, animent dans un gigantesque mouvement de sculpture sonore, avec des passages dignes d'un Fred Frith. L'orgue Hammond, associé aux cymbales, donne en effet à certains passages leur petit parfum jazz. Je ne chipote plus sur les catégories, enchanté par cette musique qui se permet de belles incartades sans les drones vers la vingt-et-unième minute, moments magiques, extatiques et mystérieux qui se mettent à onduler, parcourus de froissements, de déchirements secs, les drones revenant comme subrepticement se placer sous la scansion de la batterie et les égarements de la guitare, l'euphorie douce et lancinante du piano vaporeux à souhait (presque comme dans certaines pièces d'Harold Budd). Suit une longue danse quasi immobile, absolument magnifique, qui se résorbe après quelques perturbations percussives en une vague d'orgue envahie de bruits, de guitare saturée, ponctuée de frappes percussives plus sourdes, comme si l'on approchait d'une fusion. La pièce prend des allures magmatiques, gonflée de ronflements, d'oscillations vers des aigus étouffés. Elle continue d'avancer, de sidérer l'auditeur par sa beauté rentrée, dense, travaillée par des événements sonores imprévus qui ne sont pas sans me faire penser à Nurse With Wound ! J'adore la fin dignement déglinguée de cette pièce nonpareille.

    À l'évidence un des grands albums de 2015 !

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Paru en octobre 2015 chez ReR Megacorp / 1 titre / 43'57 minutes.

Pour aller plus loin :

- je choisis la version Youtube, qui me paraît moins sourde que sur bandcamp :

 

- album en écoute et en vente  sur bandcamp :

 

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

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Publié le 5 Janvier 2016

Kancheli Pärt Vasks - Midwinter Spring

   Le géorgien Giya (ou Guia) Kancheli, l'estonien Arvo Pärt et le letton Pēteris Vasks sont réunis sur ce nouveau disque du pianiste italien Alessandro Stella, qui a interprété voici peu des pièces de son compatriote Matteo Sommacal pour l'album The Chain Rules paru sur le même label italien Kha Records. Direction le nord - nord est de l'Europe, avec en exergue un fragment de "Little Gidding" des Four Quartets de Thomas Stearnes Eliot, dont le début donne au disque son titre : « Midwinter spring is its own season / Sempiternal though sodden towards sundown, / Suspended in time, between pole and tropic. » (Le printemps du cœur de l'hiver est une saison par lui-même, / Sempiternelle, quoique détrempée vers le couchant, / Suspendue dans le temps, entre pôle et tropique. // Traduction de Pierre Leyris)

   Certains connaissent peut-être les pièces orchestrales parfois imposantes de Kancheli parues dans les nouvelles séries d'ECM sous la houlette attentive de Manfred Eicher. Alessandro Stella a choisi a contrario seize miniatures extraites de Simple Music for piano, recueil de 33 de ses musiques de scène et d'écran. Musiques fragiles, simples, délicatement chantantes, qui, à première audition m'avaient semblé presque insignifiantes, trop faciles. Pourtant, en ce début de 2016, je leur trouve une réelle fraîcheur, une naïveté réconfortante. Dans ce monde déchiré par une paranoïa galopante, des antagonismes terribles, ces pièces font du bien. Alessandro, par son toucher sensible, extrait de chacune d'elle tout son parfum discret, subtil pourtant. On se laisse porter par cette ambiance calme, cette retenue attentive. Au fil de ces seize miniatures, on sent que les choses reprennent leur cours normal, on se surprend à sourire, on rêve. Quel bonheur, loin du bruit et de la fureur ! Mes préférées du moment sont la numéro 15, thème du "Cercle de craie caucasien", et la suivante, la 28, extraite de "Cinéma" (pistes 6 et 7). À l'exception d'une seule, il s'agit d'un premier enregistrement mondial.

   D'Arvo Pärt, Alessandro a choisi Für Alina, déjà présent chez ECM New series, typique du style tintinnabuli. Il nous en propose une version lumineuse d'une incroyable intensité : comme l'escalade d'une série de brins d'herbe enneigés dans le soleil rasant des vastes plaines. Les Variationen für Gesundung von Ariuschka ressemblent à une comptine incantatoire, boucles et variations amusées pour distraire une enfant malade et l'aider à récupérer la santé.

   Je découvre le letton Pēteris Vasks avec la dernière piste, consacrée à Baltā ainava (Paysage blanc : Hiver). Une phrase musicale reprise et variée, ponctuée de gouttes sonores et de silences : elle va, tranquille et belle, légèrement ouatée dirait-on pour suggérer peut-être la couche de neige épandue sur le paysage, parfois travaillée par des sous-couches sonores d'une extrême grâce, recourbées sur de fines virgules. Comment ne pas entendre le souvenir des cloches, décanté, cristallisé, sublimé ? C'est une pièce magique, splendide, qui conclut ce beau disque aux lignes si pures.

    Alessandro Stella nous permet de commencer 2016 sous les meilleurs auspices en revenant à ce que nous oublions trop souvent, la beauté toute proche, simple en sa robe discrète.

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Paru en octobre 2015 chez Kha Records / 19 titres / 42 minutes.

Pour aller plus loin :

- le site de Kha Records.

- la première des miniatures de Giya Kancheli, n° 26, "Herio Bichebo" :

Alessandro Stella, piano.

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

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Publié le 16 Décembre 2015

Mathias Delplanque - Drachen

   Passeports, Chutes, et maintenant Drachen : ce chemin discontinu marqué par mes articles montre une direction, celle d'une musique électro-acoustique et concrète ardente, visionnaire, très éloignée de la sacralisation sèche du son pratiquée trop souvent par des musiciens qui sentent le laboratoire et le logiciel. Mathias Delplanque déchaîne ses sons dès le premier de ses dragons, impressionnant de puissance. Froissements de cymbales, drones, lourde percussion qui ébranle les tripes, résonne longuement, reprise et amplifiée jusqu'à créer un magma épais saturant l'espace sonore, parsemé de fissures électroniques. Tout gronde, s'enfle, crépite dans une flamme grandiose, fracturée de zébrures, animée de réverbérations.

     Pas de doute, nous voilà bien dans l'antre du dragon, dans la fabrique tellurique d'où surgissent les dradrones (qu'on me pardonne ce néologisme !) et autres excroissances proliférantes. Le deuxième dragon pourrait sembler plus sage, ouvert par une guitare reconnaissable, mais vite saturée, aggravée, dégoulinant de baves luminescentes. Comme scandant une série de reptations, l'accord se répète, tandis que le monde se défait, occupé à enfanter des monstres sonores aussi pesants que des mastodontes antédiluviens. Ce Drachen 2 nous plonge dans une proto-histoire, tandis que Drachen 3 rejoue l'apparition merveilleuse du feu, le hurlement insensé de la joie tordue appuyée sur une basse abyssale. Le titre parcourt des landes sauvages, ravagées, absorbées par la langue de feu vivant de voix étranges. Drachen 4 est un court interlude halluciné tout en froissements subits et surgissements imprévus, préparation au cinquième dragon auréolé de lumière, hoquetant et brinquebalant, de plus en plus mécanique et se résorbant en quasi délicatesse. Drachen 6, hanté par des cloches mystérieuses et des bruissements émouvants, prend des allures plus solennelles, mystiques : c'est l'élévation au noir, l'eucharistie confondante dans l'ébranlement des grands gongs et les échappées sourdes de drones déchirés. Ce dragon-là avance en état de somnambulisme, à moins que ce ne soit l'auditeur qui contemple fasciné l'avance de l'ordalie sonore ! Drachen 7 est plus apocalyptique, foudroyant, maniant comme des glaives ardents qui découpent l'espace à grande vitesse. Quelle profondeur de champ ! Quelle force étincelante ! Mathias Delplanque joue au démiurge avec maestria, invente un univers prodigieux digne de la fantaisie héroïque (heroic fantasy) la plus flamboyante. La dernière piste est au début comme un retour à l'humanité avec ses échantillons de voix humaines, mais très vite le monde métallique, brutal, grondant, reprend le dessus, assène des coups qui lacèrent, segmentent, sur fond de sanglots rentrés dirait-on. Faut-il prendre le disque comme une parabole ? Ces dragons sont d'extraordinaires objets musicaux, et j'aime assez la phrase de Rainer-Maria Rilke placée en exergue : « Vielleicht sind alle Drachen unseres Lebens Prinzessinnen, die nur darauf warten uns einmal schön und mutig zu sehen. » (Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. / Extrait des Lettres à un jeune poète).

   Pour qui écoute vraiment ce disque, les dragons sont admirables, nous invitent à sortir de notre réserve. Un diamant noir !

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Drachen, paru en décembre 2015 chez Ici d'Ailleurs (une maison de disque inspirée !!) / 8 pistes / 40 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

  

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

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Publié le 1 Décembre 2015

King Midas Sound / Fennesz - Edition 1

   Sur les rives envoûtantes du Léthé sidéral

   Edition 1 est le fruit de la rencontre inédite entre le trio britannique King Midas Sound, et le guitariste et compositeur autrichien Christian Fennesz. Le résultat est brumeux à souhait : voix distantes, comme au ralenti, claviers assourdis, éléments rythmiques entourés de gaze. De la musique électronique ambiante extrêmement prenante, dès le premier titre, "Mysteries". La voix du chanteur de King Midas Sound est chaude, douce : une invitation à dériver dans les soirs profonds. "On my Mind" est encore plus ouaté, plus intimiste, avec la voix de Kiki Hitomi, qui nous plonge dans un rêve chaloupé, revient chargée de réverbérations dans un dub sensuel et mélodieux à damner les anges les plus endurcis. Morceau facile ? Il est vrai que j'ai l'impression d'avoir déjà entendu cela, mais j'écoute tellement de musique, alors, je pense soudain à certains titres de Portishead, et j'adore, c'est ce qui compte, non ? "Waves" annonce la couleur planante de la composition, dominée par des drones et la voix de Roger Robinson, complètement en allée, langoureuse et envoûtante. C'est une lente descente vers des plaisirs (interdits ?), une incantation trouble mêlée d'une remontée avec des claviers diaphanes, plusieurs plans de sonorités électroniques superposées : titre splendide, qui s'étire dans un éther d'une incroyable sérénité. "Loving or leaving" crachote, pluie électronique intermittente soudain puissamment découpée par les interventions vocales du chanteur, soulignées d'une basse très lourde. Oh le choc !! Batterie cosmique, pulsations géantes, comment ne pas fondre, rendre les oreilles, abdiquer tout sens critique : cette musique nous dévaste, nous envahit comme une mer de foudre se changeant en traînées incandescentes. "Melt" vient de plus loin encore, ponctué par la basse insistante, la voix légèrement amplifiée et surplombante du chanteur, environnée de champs électroniques intenses piquetés de batterie. Des vents se lèvent dans une musique devenue abstraite, sourdement tourbillonnante et lentement disparaissante. "Lighthouse" : la guitare de Fennesz est un phare dans le brouillard électronique épais environnant la voix hallucinée du chanteur. Tout dérive à nouveau dans ce trip hop mâtiné de dubstep (oui, je me laisse aller aux étiquettes, je ne le ferai plus !!) d'une incroyable épaisseur.   

   "Waves" annonce la couleur planante de la composition, dominée par des drones et la voix de Roger Robinson, complètement en allée, langoureuse et envoûtante. C'est une lente descente vers des plaisirs (interdits ?), une incantation trouble mêlée d'une remontée avec des claviers diaphanes, plusieurs plans de sonorités électroniques superposées : titre splendide, qui s'étire dans un éther d'une incroyable sérénité. "Loving or leaving" crachote, pluie électronique intermittente soudain puissamment découpée par les interventions vocales du chanteur, soulignées d'une basse très lourde. Oh le choc !! Batterie cosmique, pulsations géantes, comment ne pas fondre, rendre les oreilles, abdiquer tout sens critique : cette musique nous dévaste, nous envahit comme une mer de foudre se changeant en traînées incandescentes. "Melt" vient de plus loin encore, ponctué par la basse insistante, la voix légèrement amplifiée et surplombante du chanteur, environnée de champs électroniques intenses piquetés de batterie. Des vents se lèvent dans une musique devenue abstraite, sourdement tourbillonnante et lentement disparaissante. "Lighthouse" : la guitare de Fennesz est un phare dans le brouillard électronique épais environnant la voix hallucinée du chanteur. Tout dérive à nouveau dans ce trip hop mâtiné de dubstep (oui, je me laisse aller aux étiquettes, je ne le ferai plus !!) d'une incroyable épaisseur.   

   Le sommet est atteint avec "Above water" : chef d'œuvre de presque quatorze minutes, virtuellement infini. Chant des claviers et des drones, vents électroniques, boucles rythmiques insidieusement implacables : l'univers n'est plus que ce battement distendu qui envahit le sang et les artères. On se laisse aller, le bonheur est là, dans ces boucles-mondes des origines, lorsque l'esprit survolait les eaux primordiales. Titre prodigieux, proprement mystique, en roue libre pour anéantir les apparences, les illusions !

    "We Walk together" semble se dérouler sur une planète lointaine. L'univers grésille, la voix de Kiki est portisheadienne en diable, double de Beth Gibbons porté par un courant hypnotique et des chœurs, des claviers poussiéreux et transcendants. L'univers est rayé de zébrures fauves jusqu'au jugement dernier ! "Our love" achève le périple. Tout a basculé vers un ailleurs narcotique peuplé d'échos plus que de voix, de réverbérations et de vagues sidérales.

   Un sacré coup de cœur, et il faut ça après Bruit Noir, histoire de réenchanter le monde...en l'oubliant d'abord, le temps des écoutes et de leurs prolongements en nous.

   J'attends évidemment les éditions 2, 3 et 4 annoncées, qui permettront à King Midas Sound de tester d'autres collaborations.

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Edition 1, paru en septembre 2015 chez Ninja Tunes / 9 pistes / 60 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- la page du label consacrée au disque.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

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Publié le 24 Novembre 2015

Bruit Noir - I / III

L'ère du désenchantement

   Bruit Noir est né d'une idée de l'un des deux batteurs de Mendelson, Jean-Michel Pires, qui a invité Pascal Bouaziz à venir sur scène dire un de ces textes sur une de ses compositions, puis à enregistrer un titre en studio en tant que contribution à l'un de ses albums. La proposition débouche...sur cet album de dix titres (15 seraient même enregistrés). Musiques signées Jean-Michel Pires, qui utilise percussions, cuivres et synthétiseurs / claviers. Les textes de Pascal Bouaziz sont des improvisations. Le titre I / III signale qu'il s'agit d'un début de série : le deuxième devrait mettre l'accent sur l'électronique, nous dit-on. Voilà pour l'histoire, la genèse du projet. Que me reste-t-il à ajouter ?

   À sa manière, Bruit Noir renoue avec la chanson engagée, subversive et libertaire, qui ne cherche pas à plaire, mais à produire un choc. Bruit Noir est un antidote puissant à la société d'endormissement du divertissement, baptisée "entertainment" par les anglo-saxons. Bruit Noir déplaira donc à tous ceux qui veulent du beau bien lisse, consensuel. Bruit Noir déferle, dérange, dès l'étrange "Requiem"...« pour Pascal Bouaziz, (...) avec beaucoup de batterie et beaucoup de bruit (...) pour étouffer les cris (...) Personne ne comprend rien / Personne ne comprend son geste », comme un suicide inaugural, symbolique, qui libère la parole-cri, la parole-bruit-noir, ce qui devait sortir n'en déplaise aux survivants, un règlement de compte avec lui-même non dénué d'humour noir, une mise en perspective implacable de certains aspects (parfois oubliés, refoulés) de la réalité d'aujourd'hui. "Joe Dassin" examine ce qui reste d'une passion, à peine un nom associé au souvenir d'une chatte, pour constater « qu'il y avait plus de tendresse avec cet animal en une seule après-midi qu'entre toi et moi si on était resté collés ensemble toute une vie. » L'amertume décape, met à nu, ressasse le mensonge des illusions sentimentales.

"L'Usine" dévoile l'horreur de l'exploitation dont "on n'a pas idée (...) quand on est comme moi parisien, protégé, chanceux de la vie », chaque mot (ou expression) séparé des suivants par un martèlement, un sectionnement dont on comprendra que c'est l'image sonore d'un sécateur ou de la scie électrique à découper les bœufs évoquée ensuite jusqu'à la nausée. Au passage, elle égratigne tous ceux qui se plaignent de leur sort (lui-même compris) alors qu'ils sont loin de vivre un enfer comparable. Pascal Bouaziz dérange les lignes d'une bien-pensance. Ses textes sont engagés, mais pas pour assener une pensée, pour forcer à penser le monde, soi-même et les autres, sans complaisance : à la manière d'un moraliste lucide et impitoyable, il traque les discours convenus, débusque les langues de bois, les impostures, sans oublier de faire rire.    

    Il se regarde se défaire devant le miroir, avec « les gencives qui disparaissent » et ses lambeaux de souvenirs, dans "Joy Division", hommage à l'enthousiasme qui a illuminé les « treize appartements où (il) a vécu », hommage au miracle d'un artiste qui résiste à la marée d'abrutis qui l'ont entouré. La chanson devient méditation sur « l'horreur de la vieillesse », avec des images-repoussoirs, sur les divisions de la joie et les camps. Passé et futur, souvenirs personnels et souvenirs collectifs se télescopent pour composer l'autoportrait désolé d'un homme sensible...qui sait se tourner en dérision dans "Je regarde les nuages", clin d'œil à Baudelaire. Cet homme qui « se sent bien....comme un con » en regardant les nuages se présente comme un perpétuel inquiet, vaguement paranoïaque comme la société d'aujourd'hui. La musique dépouillée, cliquetante, vibrante, entre rock minimal post punk et éclats de free jazz, souligne parfois presque comme un léger halètement, une respiration chronométrique, les mots émouvants de cet écorché à la voix paradoxalement si pleine de douceur.

     Les quatre titre suivants, "La Province", "Manifestation", "Low Cost" et "Sécurité sociale" mettent en scène un homme (Pascal Bouaziz, mais ne soyons pas réducteur...) confronté au rien social, au vide, à la déréliction. C'est le désert des villes de province, Chartres ou Le Mans dans le sillage de Jean-Luc Le Ténia, Charleville-Mézières. Quant aux manifestations, elles sont envahies par les cons, qui « s'arrêtent quand il n'y a plus personne à lyncher, plus de magasins à dévaster, plus personne à défoncer (..) y a rien qui fasse plus flipper qu'une manifestation, de toute façon je ne supporte plus les sauvages, leurs cris, on dirait de la connerie sur pied » : on ne saurait plus clairement dire sa méfiance, son dégoût pour des rituels détournés peut-être de leurs objectifs, pour les foules, pour l'humanité. La musique saturée de percussions sourdes, la voix déformée par un porte-voix rendent l'atmosphère étouffante, expriment la puissante vague de dégoût, le rejet d'une humanité qui ne manifeste jamais pour le droit de ne pas avoir de point de vue, pour le droit de ne pas aller au travail, de faire la sieste, pour le droit à l'hibernation, qui ne demande des droits que pour dépenser son argent dans les soldes. La veine satirique explose encore (si j'ose l'écrire) dans "Low Cost", qui s'indigne contre la manière dont « le miracle de voler dans les airs » peut déboucher sur une « expérience humiliante de l'humanité » : il fallait oser pour s'en prendre au leurre du "pas cher", au cœur de nos sociétés marchandes. "Sécurité sociale" prend pour refrain obsédant « Tous nos correspondants sont actuellement occupés / Veuillez renouveler votre appel », tourne autour de formules qui disent l'absurdité d'un monde faisant « exprès de faire attendre les gens ».  Le titre martèle alors un « C'est fait exprès » associé à des idées d'impasse, de complexité. Il n'y a pas d'issue, il n'y a plus rien, et l'emploi de cette dernière formule renvoie évidemment à ce texte majeur, flamboyant, de Léo Ferré, car l'album, s'il est traversé par des fantasmes de suicide, de disparition, d'élimination des abrutis, des mecs, exprime en creux une protestation, une révolte contre le désenchantement du monde, les humiliations qu'il multiplie.

    La dernière n'est pas la moins terrible. Le disque se termine par un bouleversant "Adieu" à l'enfance, « piège maudit », avec la figure du grand-père, dont on comprend qu'il est un rescapé d'une horreur plus ancienne, un adieu aux souvenirs chaleureux, mais aussi au traumatisme vécu entre la dixième année et ses quatorze ans avec l'ami de sa maman qui lui parlait d'amour et l'a détruit : confession autobiographique ou fiction, on ne sait plus, peu importe. Toutes les espérances sont déçues, trahies, empêchées...mais « je suis vivant, et vous êtes tous morts depuis très longtemps ».

   Un grand disque, inoubliable, dans la lignée du triple cd sorti par Mendelson. Une rencontre avec deux artistes qui nous convient à regarder le monde en face, et ce n'est pas très beau, l'actualité de ces derniers jours ne me fera pas écrire le contraire. Heureusement, il nous reste des bouffées d'émotion, et l'amitié pour Bertrand, qui lui a prêté un livre avec les paroles de Ian Curtis...Mis bout à bout les dix textes racontent une histoire, prennent la consistance d'une esquisse de roman vrai, qui fait paradoxalement du bien à entendre dans un monde saturé de communication mensongère, de discours creux et dangereux. Gardons l'espoir ! Comme je l'écrivais à propos du triple album de Mendelson, il y a encore quelqu'un, et en plus ils sont au moins deux !

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I / III, paru en octobre 2015 chez Ici d'Ailleurs / 10 pistes / 43 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

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Publié le 3 Novembre 2015

Mathias Delplanque - Chutes

   Paru en février 2013, Chutes a failli m'échapper, au risque de chuter dans l'oubli interstellaire (je sais, j'exagère !). J'avais chroniqué le très bon Passeports,  sorti en 2010 et découvert par hasard grâce aux réseaux sociaux (comme quoi on n'y trouve pas que des niaiseries narcissiques). Entre temps et après le premier cité, Mathias Delplanque, artiste majeur de la scène électroacoustique française, compositeur, improvisateur et interprète, a sorti d'autres albums que je n'ai pas encore écoutés, laissés de côté par le flux intarissable des sorties qui risque de rendre fou l'auditeur le mieux disposé. En tout cas, Chutes vaut le détour...

   Dès le départ, l'osmose entre bruits divers et sons électroacoustiques est parfaite. "So" nous fait pénétrer dans un monde mystérieux, fascinant, d'une extraordinaire densité sonore. Les bruits se sont mis à vivre, sont réellement musiqués (je risque le néologisme !), intégrés dans une musique ambiante habitée, hantée par un orgue omniprésent et un léger battement percussif en arrière-plan. "Ru" prolonge cette splendeur tranquille faite de froissements secrets, de striures électroniques, d'étranges granulations et de surgissements improbables. La pièce se termine par une longue traînée somptueuse, telle une comète énigmatique qui viendrait de nous effleurer.

   "Fell" commence à la guitare, sèchement, pour se développer puissamment, agrémenté de cloches. Prairies électroniques, je vous salue, vous dites la vie minuscule, le chant des éléments inconnnus, l'état des choses que nous ne voyons ni n'entendons plus. À ce stade, on sait qu'on a affaire à un musicien au sommet de son art, capable de transcender tous les sons pour chanter le continuum de la vie concrète. La pièce devient un véritable art de l'illumination, un art sonore à la Rimbaud, fleur mystique hallucinée qui laisse l'auditeur émerveillé par la maîtrise consommée des matériaux sonores. "V" dérive de manière ondulatoire, très loin de toute prise en dépit des nombreux bruits qui s'invitent, quelque part entre Pantha Du Prince et James Murray. Cloches bruissantes, matières craquées, surgissements tumultueux, qui dira votre beauté souveraine ? La pièce travaille sur les limites, abolissant la distance entre guitare saturée (?) et sons d'ordinateurs. Chef d'œuvre, c'est indéniable ! "Bu" serait une cérémonie gagaku pour bruits raffinés, un orchestre du chaos. "Flo" rejoint "So", en plus chaotique. Il semble qu'au fur et à mesure les bruits se donnent davantage libre cours, réellement déchaînés, créateurs d'un univers totalement singulier, ayant rompu toutes les amarres mélodiques traditionnelles. "Alo" est l'aboutissement de cette conquête, âpre et mordant, d'une puissance sourde, vertigineuse, tel une série d'orages magnétiques rentrés. Cette musique est réellement impressionnante !

 

   Un très, très grand album, l'un des meilleurs de l'année 2013 et de ces dernières années !

Une couverture superbe de Dove Allouche, pour couronner le tout !!!

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Chutes, paru en février 2013 chez Baskaru Records / 7 pistes / 46 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- la page du label Baskaru consacrée à l'album.

- le site personnel de Mathias Delplanque.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

 

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

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Publié le 22 Octobre 2015

James Murray - The Sea in the sky

L'aspiration chérubinique  

   Je découvre le compositeur britannique James Murray avec ce septième album. Je laisserai donc les connaisseurs et suiveurs de cet arpenteur des musiques ambiantes et électroniques comparer avec les albums précédents. Il semblerait en tout cas que j'arrive à point, au moment où, par ailleurs, l'artiste rejoint la jeune maison française VoxxoV.

   La mer dans le ciel : brouillage des éléments, marée liquide à l'assaut de l'espace intersidéral. D'emblée, la musique se situe très haut, très loin. Nappes de drones animés de pulsations sourdes, comme des nuages granuleux en rangs serrés. C'est "Altitude", le premier titre, la première des cinq méditations obscures d'une durée comprise entre huit minutes trente et presque dix minutes. Pour quelle migration ces nuées de particules dans lesquelles se sont résorbées guitare, basse, piano et électronique (il faut lire la notice de VoxxoV pour le savoir, je l'avoue humblement), qui pourrait le dire ? Nous sommes en voyage, voilà ce qui compte. "Hollows"prend une tournure plus nettement ambiante avec l'orgue et les claviers qui nous propulsent pas très loin de chez Tim Hecker. La musique monte, se creuse, aimantée par les boucles courtes de l'orgue quasi diaphane à l'arrière-plan. Noire extase, lévitation puissante et souverainement transcendante, cette musique est d'outre-monde, ne connaît que le sublime à force d'abstraction fusionnelle. Si "Altitude" était un départ radical, "Hollows" est la traversée faussement immobile d'océans d'une extraordinaire densité où l'on se surprend à entendre le chant des drones au milieu des courants électroniques. "Theseainsky", par son titre condensé, nous donne comme la clé d'entrée dans les cavernes ultramarines palpitantes de mille clartés qui s'offrent maintenant à nos oreilles stupéfaites, tandis que de sourdes cornes qu'on dirait de brume virgulent le gigantesque papillonnement sonore, la marée de froissements, déchirements qui semblent animés d'une vitesse grandissante, comme si l'infini se coagulait au fur et à mesure de l'entrée de la mer dans le ciel, donnant naissance à une vaporisation paroxystique de particules. Tout s'arrange, se règle avec "Settle", jumeau chérubinique de "Hollows", tresse radieuse d'orgue, de lentes volutes de drones et de traînées électroniques claires, qui s'approfondit de graves girations pour s'implanter plus profondément dans nos cerveaux décapés, dans nos tripes vidées, tant cette musique est une prise de possession, agissant comme un python cosmique coïncidant avec l'univers qu'il ensère et phagocyte. Il ne reste plus qu'à disparaître, à se dissoudre dans le nouveau continuum, le nouvel océan-ciel, élément unique dont on entend comme la respiration inaltérable, impassible et magnifique, au-delà de tout souvenir d'une humanité pitoyable.

   En ce sens, la musique de James Murray est proprement fabuleuse, d'un romantisme grandiose, absolu. À écouter le soir, la nuit, au volant, au casque, à chaque fois que le monde phénoménal tend à s'estomper pour laisser entrevoir ce que notre civilisation cherche souvent à nous faire oublier.

   À noter les belles illustrations abstraites de David John Hilditch, en parfaite adéquation avec la musique de James Murray

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The Sea in the sky, paru en 2015 chez VoxxoV / 5 pistes / 47 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- le site de James Murray

- l'album en écoute sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

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Publié le 13 Octobre 2015

Mansfield TYA - Corpo Inferno

   D'où sortent-elles, ces deux-là ? Julia Lanoë et Carla Pallone, auteurs, compositeurs et interprètes de Mansfield TYA, font souffler sur la chanson française un vent de fraîcheur et de trouble folie. Après l'excellent NYX que j'ai acheté dans les minutes qui ont suivi ma première écoute de leur dernier opus, Corpo Inferno est un autre bijou atypique, acide et noir, série de préludes en états d'âme mineurs à la fin des temps. 

   Dès "Bleu Lagon", on y est, lâchés dans cet univers déglingué où il est question de fuir, de retrouver un monde idyllique...mais le lagon est "rouge sang", ne ressemble pas à une publicité pour agence de voyage. Sur une musique bondissante se dit la déréliction de ceux qui n'ont plus "nulle part où (se) barrer" et dont la seule ressource est de "faire la fête à en crever". "BB" a des allures de ballade techno hypnotique, claviers glissants et percussions au premier plan, le texte martelant les indices d'une passion mystérieuse sur fond de renards qui "passent dans la brume".

   Le disque vire très loin avec le magnifique "Gilbert de Clerc", miniature bouleversante évoquant aussi une passion, sur fond de guerre et de courtoisie médiévale cette fois : « Vos mots me sont si chers que / Je vous préfère mystérieux // Écrivons-nous pendant la guerre / Des lettres, des lettres de feu / Et s'il n'y a pas la guerre / Je vous en prie Gilbert / Trouvez une bataille au mieux. » "Jamais Jamais" est une histoire de disparition en forme de conte servie par une musique entre classique de chambre et rock : « Je suis devenue l'eau du lac / Du lac à deux pas de chez toit / Plus près je suis moins tu me vois. » Et puis j'ai craqué, envoûté par "Sodome et Gomorrhe", texte magnifique qu'il faudrait citer en entier et musique élégiaque, violon et violoncelle suaves à souhait dans une atmosphère déliquescente à la Michael Nyman et à la Peter Greenaway. Un quatrain extrait des Contemplations de Victor Hugo trouve une incroyable résonance à être décliné à la fois par la voix frêle d'une des deux et par une sorte de vocodeur qui la double en grave déformé avant de laisser la place à une montée synthétique, au surgissement de voix éthérées lointaines : il s'agit toujours de disparition possible, de vie qui s'en va. Le texte est alors repris à une ou deux voix très claires, diaphanes, avec un doux battement percussif, l'ensemble prenant l'allure d'un air médiéval revisité. Un sommet ! Des percussions étouffées et sourdes, des cordes frémissantes, c'est l'entrée dans "La Fin des temps", chanson hallucinée : « Amis, nous repartons ce soir / Vers les demeures inexistantes / Nous irons panser nos blessures / Encore, auprès d'une innocente / Et ce sera toujours un matin ou / Un soir // C'est la fin du monde, on attend » Voix limpides, pâles, halètements, accompagnement feutré et intense à la fois, d'une mélancolie sublime, c'est la magie de Mansfield TYA.

   "Das Tod und das Mädchen" est un interlude instrumental et choral qui contribue à l'ambiance noire de l'ensemble, même si le seul titre chanté en anglais, au titre français de "Loup noir", pourrait sembler de prime abord apporter une lumière avec la voix presque enfantine du début, celle de Shannon Wright qui a aussi écrit le texte et la musique du titre. On s'aperçoit qu'il s'agit de temps qui s'estompe, passe, peut-être une évocation du petit chaperon rouge dans l'attente du loup noir qui viendra voler sa respiration. "Palais noir" évoque, lui, un loup blanc : ambiance frénético-synthétique, « effrayant brouillard » qui cerne les enfermés dans ce palais noir gardé par un inquiétant cerbère, nous sommes déjà en enfer, nul doute. Suit un instrumental très beau, "Fréquences", hanté par des boucles minimales, traversé de sons venus d'un monde englouti dirait-on. Que reste-t-il dans cette désolation ? "Le monde du silence",  batterie en avant, claviers et cordes sautillantes pour un texte rien moins que désespéré qui dit à nouveau la fuite et la déception à la clé, car « Seulement voilà je me fais chier / La vie est triste sans bourreau / Je n'ai personne sur qui cracher / Mes cris sont étouffés par l'eau // Dans le monde du silence, / Je m'emmerde ». Il existe pourtant un havre inattendu, "Le dictionnaire Larousse", étrange ballade dans les mots, dernière aventure où « Il y a de quoi passer une vie », oui, ... « Entre amour et zoophilie ». Le dictionnaire invite à la dérision, certes, mais il est le refuge du dérisoire, lui aussi, même s'il révèle que « « Ecce homo » / Ne veut pas dire « être pédé » ».

    "La nuit tombe", sur un court texte de Julie Redon, scandé par des percussions métalliques, termine de manière grandiose et belle cet album inspiré. C'est un chant hypnotique, un cri de révolte, un refus martelé par la reprise des négations qui terminent chacun des trois distiques. 

   Un disque extraordinaire à écouter de toute urgence. Et précipitez-vous sur NYX, sorti en 2011, qui atteint lui aussi des sommets avec des titres comme "La notte" ou "Animal", pour n'en citer que deux. Quant à moi, je vais à rebrousse-temps sans doute me procurer Seules au bout de 23 secondes (2009), dont le titre me plaît tant...

   J'allais oublier ! Je salue un livret exemplaire, qui comprend tous les textes, donne toutes les informations sans se croire obligé de les mettre en anglais, de surcroît magistralement illustré par une série alliant têtes et fragments de colonnes antiques, personnages enduits de blanc comme le reste, qui sont comme des pierrots sublimes, des bonzes engagés dans la voie négative.

 

Mansfield TYA - Corpo Inferno

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Corpo Inferno, paru en 2015 chez Vicious Circle / 14 pistes / 43 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- le site de Mansfield TYA

- le disque en écoute et en vente sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 9 août 2021)

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