Piano Interrupted - The Unified field
Publié le 31 Janvier 2014
Deuxième disque du pianiste et compositeur britannique Tom Hodge et du compositeur, producteur (et Dj) de musique électronique français Franz Kirmann (alias de François Gamaury), The Unified Field fait aussi appel au violoncelle de Greg Hall et à la contrebasse de Tim Fairhall. Le titre viendrait du livre de David Lynch, Catching the big Fish, une méditation sur les chemins de la créativité dans laquelle il développe des idées qui ne sont pas sans rappeler la théorie des correspondances chère à Baudelaire : ce qui peut paraître isolé dans le réel est de fait relié par un réseau de connexions avec ce qui l'entoure ; l'artiste qui saura établir les connexions trouvera le chemin de son opus magnus ! Venus d'horizons différents, Tom Hodge et Franz Kirmann unifient le champ de leurs mutuelles expériences, ce qui s'inscrit à merveille dans la perspective de ce blog !
"Emoticon", d'emblée, allie piano et électronique : fragile mélodie prolongée par des échos et réverbérations électroniques, nouvelle ponctuation rythmique. La pièce se fait élégiaque avec l'entrée du violoncelle de Greg Hall, et en même temps se densifie par l'intrusion de textures granuleuses. Construite en boucles larges, elle conserve un bel équilibre entre acoustique et sons synthétiques, bien ponctuée par la contrebasse discrète de Tim Fairhall. "Two or three things" poursuit l'intrication des deux domaines, tout en délicatesse, avec des suspensions miraculeuses. C'est une danse très lente, voluptueuse et tendre. Comment ne pas être séduit ? Nous sommes si loin des pompes, des poses et des décibels inutiles de trop de musiciens de la scène électronique, grands enfants dépassés par la puissance de leurs techniques !
"Cross Hands" confirme cette voie de la simplicité, de la limpidité. Le piano marche, puis court sur une corde, sans la toucher dirait-on, soutenu à peine, avec une immense délicatesse, par le violoncelle et la contrebasse. Comme j'aime cette légèreté aérienne, cette griserie soudain réfrénée, cette invention, mine de rien, de nouvelles perspectives sonores qui surgissent au détour d'un phrasé, s'aplatissent à chaque fois qu'elles pourraient devenir emphatiques. Cette musique est modeste, et d'autant plus belle. "Darkly shining" est un premier aboutissement de ce parcours : pièce planante et raffinée, chatoyante comme une étoffe aux mille plis, elle se déploie en jouant de son velouté un peu trouble. Le titre éponyme est plus syncopé, marqué par des frappes percussives étagées, bientôt relayées par des irruptions de nappes synthétiques lointaines, aux limites de la perception, et survient le piano, calme et chantant, tout se tait devant lui, quelques sons percussifs comme si l'on toquait à la porte, apesanteur...Ambiance de jungle tout au début de "An accidental fugue", curieux raccourci entre somptuosité médiévale des cordes, jazz discret de la contrebasse, fougue post minimaliste bien tempérée du piano, intrusions électroniques, sonorités de clavecin. Rien d'hétéroclite pourtant, tout étant récupéré au final dans une envolée orchestrale d'un beau lyrisme.
La suite ne déçoit pas, le cocktail fonctionne à merveille, dosé, toujours intrigant. On pourra trouver "Open line" facile, mais j'aime sa fluidité, sa transparence, ses micro percussions, son piano ou clavier qui picore de la dentelle, son côté Kraftwerk très doux !! "Camara obscura" reste dans l'oreille, bijou minimaliste serti d'échappées langoureuses de violoncelle, étoffé de dérapages et de brouillages percussifs, avec des laisser-aller, oui, comme des abandons, des chutes lentes et des résurrections miraculeuses dans la ouate des songes électroniques. "Path of most resistance" poursuit la veine onirique, entre sons moelleux et textures feutrées, nous entraînant de plus en plus loin, le violoncelle alangui, charmeur, on marche avec précaution sur les feuilles à peine craquantes...un dernier scratch comme un soupir...et c'est "Lost Coda", piano préparé brinquebalant, titubant, sorte d'anti techno trouée de coulées harmonieuses recouvertes par une masse de sons graves, sourds, soudain illuminés par un piano naturel qui varie un petit thème tout simple, de plus en plus doucement.
Un disque subtil et limpide, qui se promène avec aisance dans des champs divers, du minimalisme à la musique électronique en passant par des réminiscences classiques, jazz, créant une musique ambiante d'un nouveau style, aux paysages mouvants, changeants à vue d'oreille (la plupart des titres durent autour de quatre minutes).
Mes titres préférés : "Cross Hands " (3) / "Darkly shining" (4) / "Camera obscura " (8)
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Paru chez Denovali Records en 2013 / 10 titres / 44 minutes
Pour aller plus loin
- la page consacrée à l'album sur le site de Denovali (avec quelques titres en écoute).
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 juillet 2021)