Sebastian Plano - Impetus
Publié le 15 Janvier 2014
Multi instrumentiste argentin de formation classique, Sebastien Plano vient de sortir chez Denovali - ce très beau label indépendant allemand né en 2005, on en reparlera très bientôt - Impetus, le successeur de Arrythmical Part of Hearts paru voici deux ans, réédité parallèlement par le même label. Un disque qui laisse la part belle à l'acoustique, tout en la magnifiant par un recours élégant à l'électronique..., enregistré et mixé par les soins de Sebastian dans une petite salle, le tout matricé par Nils Frahm dans son studio de Berlin.
Début très langoureux au violoncelle, avec un curieux contrepoint de cris électroniques, comme des mouettes métalliques. Le premier titre éponyme nous propulse d'emblée dans une contrée qui n'est pas sans rappeler les ambiances des musiques de film de Michael Nyman. L'entrée du piano confirme la tonalité élégiaque, puis tout s'arrête, repart, avec un piano très assourdi. Le morceau évolue de de petite brisure en petite brisure, chaque fois nous entraînant plus loin, grâce à de larges et lentes volutes. Cette musique a un charme fou, on frissonne, portés par les boucles se resserrant et se ralentissant, comme si la boîte à musique avait fini de détendre son ressort. "The World We Live In" poursuit sur le mode gracile sa tentative d'envoûtement : c'est un monde transparent, et puis surgit un mouvement irrésistible, ponctué de percussions frottées, d'instruments frappés tandis que le piano et le violoncelle déploient une grâce lyrique jamais mièvre en dépit de mélodies caressantes. Cette musique agacera les amateurs d'audaces inaudibles, de couinements acoustiques, c'est sûr, tant pis pour eux..."Blue Loving Serotonin" commence par une introduction minimaliste au piano, magnifique, accompagnée très vite par des violoncelles à l'unisson, dans un crescendo à la Arvo Pärt, qui disparaît ensuite pour laisser le piano seul chanter, relayé d'ailleurs par des voix ici et là. Lorsque revient le mouvement de boucles, plus puissant, ponctué de quelques stratchs, soutenu par les violoncelles, le morceau dégage une plénitude extraordinaire, atteint une puissance étonnante. Le disque décolle vers des rivages sublimes, se perd dans un rêve vertical et trouble. À partir de là, je savais que je chroniquerais l'album !
"In Between Worlds II", le quatrième titre, est un hymne suave des cordes, un ballet savant qui sonne comme du Bach revu par Nyman ou Max Richter. "Emotions (Part II)" pourait n'être qu'une bluette si la petite mélodie au piano du début n'était hantée par la présence physique de l'instrumentiste, dont on entend un peu la respiration (je sais, c'est aussi un tic très actuel, mais là, c'est juste), et surtout prolongé par une belle cadence de violoncelle et de respirations électroniques, je pensais aux meilleures musiques de René Aubry pour les spectacles de Philippe Genty, on imagine en effet facilement l'évolution de marionnettes quelque part, et comment ne pas songer encore à Nyman pour l'onctuosité mélancolique et raffinée de certains passages tournoyants, la somptueuse lenteur !! "Angels" est une méditation calme au piano et au violoncelle, parsemée d'échos, avec un jeu subtil de démultiplications et d'amplifications. Un bandonéon apparaît aux deux-tiers du morceau, si bien qu'on se retrouve dans le nuevo tango à la Piazzolla, référence incontournable pour un Argentin.
"All Given To The Machinery", s'il est le titre qui laisse le plus de place à l'électronique comme son titre pouvait le laisser prévoir, est porté par le bandonéon royal comme un orgue et mélancolique comme les anges déchus. Lorsque les cordes le soutiennent dans des crescendos majestueux, que l'électronique vient enrober de soies artificielles l'ensemble, que des failles stratifient le parcours harmonieux, cette musique est simplement divine. Le piano apparaît dans la seconde moitié, d'où un nouvel essor, de nouveaux élans pour escalader le ciel avant la résorption dans des brouillards sonores dont sort "Inside Eyes", une musique au-delà des nuages, voix éthérées, cordes, déflagrations électroniques. Comme souvent dans les pièces de Sébastian, les titres sont en plusieurs séquences nettement structurées par des diminuendos, des arrêts. "Inside Eyes" est de ce point de vue le plus segmenté, abandonnant l'auditeur pendant presque quinze secondes, multipliant fractures et disparitions. Ces silences permettent des renaissances, des rebonds conformes à la signification du titre Impetus. J'aime assez cette manière de composer, de briser le cours d'une pièce pour en faire une suite qui se développe le temps qu'il faut, ici jusqu'à l'apothose à l'orgue, aux sons électroniques, aux voix irréelles... avant un ultime avatar presque malicieux, un beau retour au calme.
-----------------
Paru chez Denovali Records en 2013 / 8 titres / 56 minutes
Pour aller plus loin
- le site du compositeur
- la page consacrée à l'album sur le site de Denovali
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 juillet 2021)