Kleefstra / Bakker / Kleefstra - Sinne op 'e Wangen
Publié le 4 Juin 2014
"Le Soleil sur les joues", c'est la traduction du titre frison - langue de la Frise, au nord des Pays-Bas - de ce film de Sabine Bürger, photographe et vidéaste allemande qui a produit plusieurs films en collaboration avec des musiciens. Il est très rare que je me lance dans un article consacré à un dvd, de surcroît difficile à se procurer, mis à part auprès des artistes qui y ont contribué. Mais ce film est une merveille à découvrir. Nous voilà loin d'une modernité de pacotille, prétexte à nous infliger des images laides ou quelconques, de préférence à un rythme si rapide qu'on n'y voit plus rien. Sabine Bürger filme en un somptueux noir et blanc les épiphanies de la lumière dans ce qui semble d'abord un champ de graminées vu de très près. On est parmi les tiges qui bougent, on est immergés, comme pris dans le flux des raies lumineuses qui traversent de biais l'écran, emportés dans un voyage d'une magique fluidité. Puis tout ralentit, l'on suit les frémissements des tiges courbées sous le vent invisible, elles s'approchent, deviennent floues, porteuses de lumière sur le fond noir strié de lignes claires entrecoupées, s'écartent pour dévoiler la multitude des tiges noires à l'arrière-plan. Visuellement somptueux, envoûtant !
Et la musique ? Elle est signée Anne Chris Bakker, Jan & Romke Kleefstra, trois musiciens néerlandais. J'ai consacré au premier deux articles (voir en fin d'article). Quant aux frères Kleefstra, Jan est l'auteur de poèmes en frison dits très doucement, fondus dans la musique, Romke guitariste notamment. On les retrouve dans Mort aux vaches de Peter Broderick et Machinefabriek, ils font partie de The Alvaret Ensemble avec Greg Haines.
Guitare, percussions sourdes et translucides, clochettes, drones légers : c'est la recette de ce miracle renouvelé de disque en disque. Une musique d'un douceur indicible, animée de mouvements lents, comme des spirales, des volutes, que la caméra de Sabine Bürger épouse à la perfection. Le film est une longue extase visuelle et auditive. Les mots frisons de Jan viennent s'y enchâsser avec délicatesse, avec précaution, comme s'il s'agissait d'un mystère. Et c'est bien en effet un mystère auquel nous sommes conviés. L'image et le son s'écoutent, s'éclairent mutuellement, donnant à voir et à entendre ce que notre monde frénétique trop souvent ne voit plus, n'entend plus, la beauté de l'imperceptible, de l'impondérable...
Frissons de la lumière
du vent,
souffles du noir
du blanc
doux battements
petit monde
la pulsation s'enfle
s'ensuave
dans l'effacement ineffable
danse de la lumière
parmi les graminées graciles
soudain nous savons
pourquoi nous sommes là
suspendus aux courtes vagues
des claviers en boucles
aux brefs déchirements
de la guitare chantant
l'avènement
Ce qui se joue là
dans les crépitements
les froissements
les fragmentations percussives
serrées et sourdes
l'accélération musicale
C'est l'avènement
la joie radieuse
tapie parmi
les interstices
fulgurance
de la simplicité
le soleil sur les joues
© tous droits réservés
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d'un peu plus de 36 minutes.
Le dvd comporte le texte frison de Jan Kleefstra. Je n'en ai pas encore la traduction.
Le texte qui précède est de moi, pas de Jan. Improvisé en écoutant, regardant le dvd. Les trois photogrammes sont extraits du dvd.
Pour aller plus loin
- la page de bandcamp, avec écoute intégrale de la musique et possibilité de commander le dvd.
- le site d'Anne Chris Bakker, la page consacrée aux films qu'il a réalisés ou pour lesquels il a écrit (ou coécrit) la musique.
- mon article consacré à Weerzien d'Anne Chris
- celui consacré à Tussenlicht
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
- puis un très court extrait du dvd :
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 août 2021)