Christina Vantzou - N°2
Publié le 9 Juillet 2014
La neige brûlante d'outre mélancolie
Le titre est sobre, c'est son deuxième album en solo ; le nom de la compositrice américaine d'origine grecque figure en tout petit sur la pochette où elle se tient devant un mur ou une toile, les mains croisées cachant une partie du visage. En soi, c'est déjà tout un programme pour Christina Vantzou (Vantsos de son vrai nom), d'abord vidéaste et artiste sonore, ex-membre de Dead Texan aux côtés d'Adam Wiltzie, lui-même de Stars of the Lid et de A Winged Victory for the Sullen. Ce dernier intervient d'ailleurs sur le septième titre en tant qu'instrumentiste et il a mixé presque tous les titres de ce nouveau disque.
Depuis Bruxelles, elle distille une musique impersonnelle d'une perfection glacée. Élaboré sur une période de quatre ans, N°2 est la rencontre magnifique des synthétiseurs et des échantillons de Christina et du Magik*Magik Orchestra, une section de cordes enrichie de bois et de cuivres, à la croisée nocturne de l'ambiante et de l'électronique.
"Anna Mae" s'ouvre avec le piano sur fond orchestral. Le son monte, s'élance solennellement, s'enfle. C'est un appel venu de l'abîme, feutré de drones. "Going Backwards To Recover That Which Was Left Behind" : le violoncelle guette, rejoint par le piano. Douceur et très lent tournoiement, l'orchestre murmure puis décolle cuivré comme du Wim Mertens ou du Michael Nyman. Serions-nous dans un jardin anglais par une sombre nuit ? L'impression se précise avec le somptueux "Brain Fog" où cor, basson et autres soutenus par les cordes donnent au morceau l'allure d'un titre de Tangerine Dream à l'époque de Phaedra. "Strange Symptoms" s'ébroue entre des nuées diaphanes. Les titres, jamais longs, sont comme des apparitions sonores. "Vancouver Island Quartet" est l'alliance entre une voix féminine éthérée et des frémissements qui se matéralisent en vagues orchestrales : on n'est pas si loin que cela d'un groupe comme Dead Can Dance, en plus resserré, dense. Avec "Sister", on retrouve la voix, noyée sous les violoncelles et les cordes, et l'on comprend alors le miracle de cette musique que j'ai qualifiée d'impersonnelle : aucun pathos, mais une tenue telle que l'émotion naît de cette pureté du trait, de la ligne. Une élégance noire...un parfum d'ailleurs comme dans l'envoûtant "VHS" mené par flûte et clarinette, et quand les cordes viennent, tout s'en va, on frémit d'une telle beauté, on plonge dans ces eaux troubles qui tremblent dans les graves, et l'on retrouve des naïades chantantes, une harpe sur la rive enchante le soir englouti.
"Arp", justement, suit : du Arvo Pärt, on le jurerait, ces violons déchirants et lumineux, seuls dans l'espace immense, épaulés par l'orchestre suave et grave. Quel sens de la mesure, de la suite dans ce disque qu'il faut écouter d'un trait comme on boirait une liqueur divine ! "Little Darlin' Seize The Sun" poursuit la trajectoire stratosphérique de cette musique sans concession. "Vostok" est une mélodie gracile au charme onirique à la Peter Broderick se développant en hymne puissant en moins de deux minutes : magnifique et sidérant ! Le dernier titre est comme une signature : "The Magic Of The Autodidact", n'est-ce pas une allusion à son propre parcours que glisse Christina ? Sous ses dehors glacés, cette musique est de la lave dont nous suivons les souterraines ondulations, les acmés fulgurantes.
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Paru en 2014 chez Kranky / 11 titres / 35 minutes (seulement, diront certains, mais peu importe !!)
Un album de remixes est déjà sorti, avec notamment Loscil.
Pour aller plus loin
- le site de Christina Vantzou
- la vidéo de Christina pour VHS :
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 août 2021)