Machinefabriek (1) - Stillness Soundtracks

Publié le 15 Novembre 2014

   Graphiste de formation, le néerlandais Rutger Zuydervelt, né en 1978, se consacre pleinement à la musique depuis au moins 2004, lorsqu'il est apparu sur la scène musicale sous le pseudonyme de Machinefabriek. Depuis la sortie remarquée de Marijn en 2006, il a multiplié concerts et installations sonores dans le monde entier, albums solo et collaborations. Parmi celles-ci, je signale celles avec Peter Broderick, Michel Banabila ou encore Anne Chris Bakker. Autrement dit, Machinefabriek est au cœur de la galaxie INACTUELLES depuis déjà un moment. Je lui devais bien une série d'articles, consacrée à ses disques solo en priorité, pas forcément dans l'ordre. Il se trouve que je commence aujourd'hui par l'une des dernières sorties de ce musicien au carrefour des musiques électroniques, ambiantes, qui élabore ses pièces comme des sculptures sonores, des films sans image, ce qui explique qu'il soit régulièrement sollicité par des vidéastes, chorégraphes et des artistes très divers.

Machinefabriek (1) - Stillness Soundtracks

   Stillness Soundtracks est le résultat d'une commande de la photographe et vidéaste Esther Kokmejer. Comme Rutger appréciait les photographies de cette dernière, il a accepté de créer une bande son pour ce qu'elle a filmé en Arctique et Antarctique. S'il précise qu'ils ont renoncé à une musique par trop glaciale, sombre, le résultat n'en reste pas moins d'un hiératisme dépouillé. Chaque moment est une épure, chaque pièce est une dérive sonore qui accompagne la lente dérive des icebergs, somptueusement filmée et délicatement colorisée. Le cd comporte deux titres supplémentaires exclusifs, les pistes 1 et 5.

"(Chinstrap)" est le point de départ dépaysant de cette odyssée glaciale. Comme des trompes, des sirènes, une rythmique quasi asiatique aux cordes, puis l'orgue vaporeux, un violon ou un alto aux notes tenues, langoureuses. Lentes ondulations, danse quasi immobile. Nous voici en Arctique, au Groënland : "Stillness #1". Cordes graves, clavier translucide, drones, sourde pulsation : un monde secret, animé de mouvements intérieurs, une marche sombre. Toute la beauté de la musique précise, abstraite et dramatique de Machinefabriek. "Stillness #2" est plus abrupt, taillé en blocs sobres, faillé par des silences. Retour de boucles de piano, cordes brumeuses, entre lesquelles s'imiscent d'autres sons, boisés, cuivrés, qui font peu à peu s'écarter les parois du canyon : titre absolument fascinant, d'une majesté glacée, travaillé par une vie souterraine presque imperceptible dont Rutger est le patient sculpteur. Toute la fin de ce morceau d'un peu plus de huit minutes nous donne à écouter comme un tremblement de terre glaciaire, l'un de ceux qui ébranlent périodiquement cette épaisse couche de glace. Verres frottés dirait-on, drones sifflants, descente de comètes radieuses : l'aube se lève sur l'islandsis, l'impression sonore d'une aurore boréale, je vous garantis, pas d'image devant moi, le disque au casque. C'est absolument magnifique, grandiose, c'est "Stillness #3". Drones profonds, violoncelle (ou contrebasse) tellurique, beat sec espacé, des icebergs se séparent, vallées pleines d'échos étagés. Puis tout semble se taire, reste une onde frissonnante qui part doucement en vrille : un rayon se pose avec d'infinies précautions sur la banquise...Le deuxième "(Chinstrap)" sert d'intermède : sons d'oiseaux, vagues, une mélodie chaude et caressante, derrière les vitres d'un café ou d'une taverne, l'or du crépuscule qui fait battre  la mer...Nous voici en Antarctique. "Stillness #4", monde opaque, masses grondantes, déplacements invisibles. L'électronique de Machinefabriek fait merveille. Nous sommes à l'intérieur de la calotte colossale, dans une cathédrale de glace ; nous sentons la formation des stalactites de glace, la lente coulée de forces troubles qui font craquer les couches accumulées par des millions d'années. Cette musique glaciale est paradoxalement bouleversante, parce qu'elle est écoute du cœur du monde, célébration de l'énigmatique beauté des origines. Ne sommes-nous pas très proches des premiers surgissements, des premiers frémissements de la lumière, enfermés dans ce continent mystérieux ? Nous avançons, suspendus au moindre bruit, au moindre rayon, vers la beauté absolue. Un chef d'œuvre ! "Stillness #5" paraît d'abord par contraste plus léger, une marche précautionneuse parmi les effritements, mais les graves surgissent, plus profonds encore, épanouis, ronds, une subtile pulsation anime une puissante dérive vers les abysses. Le titre prend des allures orchestrales, un orchestre des ténèbres blanches, mené par des cordes suaves, tandis que les falaises environnantes se fissurent et tombent dans des ralentis sublimes.

   Une splendeur, ce disque ! Quant aux films d'Esther Kokmeijer, dont je ne connais que de brefs fragments, ils paraissent à l'avenant. Vivement une édition en Dvd (il y a eu une édition limitée de cent clés usb, hélas épuisée...) ! 

   Paru en juin 2014 chez Glacial Mouvements Records / 7 titres / 43 minutes

Pour aller plus loin

  - l'album en écoute sur la page bandcamp du label, italien je le signale. Glacial Mouvements est basé à Rome, dirigé par son fondateur Alesandro Tedeschi. Le label est spécialisé dans les paysages sonores électroniques, ambiants, inspirés par l'Arctique et d'autres lieux oubliés par l'homme.

- un bref montage d'extraits du film Stillness d'Esther Kokmejer :

- "Stillness #4" en écoute :

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :