Machinefabriek (3) - Halfslaap II
Publié le 16 Décembre 2014
Troisième article de ma rétrospective achronologique des parutions du compositeur néerlandais Rutger Zuydervelt, alias Machinefabriek.
Sur les ailes frémissantes de la Musique
Avec Halfslaap II, paru au début de 2014, Machinefabriek est à un tournant sans doute décisif. Alliant à ses sons électroniques deux phrases de violon interprétées par Anne Bakker, il crée une pièce unique, écrite, jouée, d'une stupéfiante beauté. Une minute à peine suffit, pour poser l'atmosphère ouatée, puis se profile la première phrase de violon, d'abord si lointaine, qui se rapproche avec une immense douceur, se déroulant comme au ralenti, croisant bientôt la seconde, presque identique, un peu plus longue. Principe reichien de décalage, de croisement de motifs, poussé à ses extrêmes, jusqu'à leur fusion, leur dissolution dans l'enchevêtrement des drones, des harmoniques. Pas de pulsation rythmique comme chez Reich, mais un jeu de miroir qui décompose, démultiplie les deux phrases et le matériau alentour. La pièce joue de la lenteur avec un art consommé de l'emprise hypnotique. On se laisse aller dans les méandres de cette musique qui n'en finit pas de s'étirer, de nous perdre dans son labyrinthe de plus en plus profond, infiniment suave, où s'ouvrent sans cesse de nouveaux chemins. C'est un jardin enchanté dont on ne sortira plus jamais. Il nous retient de tous ses frémissements, de tous ses bras de corde formant un prodigieux feuilleté sonore. C'est une chute qui ne se sait plus chute, vertigineuse et pourtant ascensionnelle, d'une indicible volupté, qui glisse entre tant de balbutiements fragiles, translucides, tant de vibrations graves. C'est une chute dans la durée pure, dans l'épaisseur du temps projeté dans l'espace en expansion. Au fur et à mesure, le matériau se densifie, se stratifie, comme si nous arrivions au centre d'un continent inconnu, à l'écart depuis toujours. En ce sens, il s'agit d'une musique initiatique, illuminante, un peu comme ces voyages intérieurs que l'on accomplit parfois à demi-endormi et qui nous font prendre le monde "réel", à notre réveil, pour une copie décolorée du monde fabuleux entr'aperçu pendant ce laps de temps vécu comme des siècles d'un éclat nonpareil, un peu aussi comme une plongée sous les paupières saturées de soleil, à la poursuite des rais de lumière qui tapissent l'ombre de leur envers et la fractionnent en formes changeantes à la poursuite desquelles on se lance dans l'oubli complet du temps. Toutes les comparaisons paraissent pauvres quand on vit cette musique aux mille ailes se déployant dans l'immense cathédrale qu'est devenu notre cerveau transporté dans le seul lieu qui vaille, où passe et repasse le Violon-Graal, promesse d'une Vie libérée des contingences. Extatique, luxuriante, somptueuse, Halfslaap II est une pièce inépuisable.
Ne soyez pas étonné si je renonce à rendre compte de la seconde pièce figurant sur le cd : je vous la laisse découvrir. Ne me réveillez pas. Je rêve encore, émer-veillé !!
Paru en 2014 chez White Paddy Mountain / 2 titres / 55 minutes (dont 35 pour Halfslaap II)
Pour aller plus loin :
- un article précédent consacré à Secret photographs, un autre à Stillness Soundtracks
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 août 2021)