Astrïd - The West Lighthouse is not so far

Publié le 4 Octobre 2015

Astrïd - The West Lighthouse is not so far

   Sorti depuis mai, le nouvel album d'Astrïd (je renvoie à l'article consacré à High Blues pour la présentation du groupe), The West Lighthouse is not so far, s'inscrit dans cette lignée tranquille et intemporelle qui me plaît tant chez eux : un album de temps en temps, quelques collaborations choisies. Leur musique hésite entre plusieurs champs : un folk très libre, une tendance post-rock mâtinée de blues, des influences du côté des musiques contemporaines  minimales ou contemplatives (pour aller vite), d'où la dimension ambiante assez sensible. Elle reste essentiellement acoustique : guitares, piano (y compris Rhodes), harmonium, violon, clarinettes, batterie et métallophone, avec le renfort parfois d'un ou deux synthétiseurs.  Ce qui compte, c'est d'installer une atmosphère, un climat. La ligne compositionnelle est toujours claire, de manière à mettre en valeur la beauté des sonorités instrumentales. Ces compères-là sont des amoureux de leurs instruments, qu'ils manient, dirait-on, avec une grande sensualité, une délicatesse retenue et un art consommé du son.

    "Pierre noire", avec ces presque quatorze minutes, en est l'illustration : longue intro constituée d'abord de vagues résonantes évoquant une vinâ, cet instrument à cordes indien capital pour placer l'auditeur dans un ailleurs harmonique, puis la guitare, sur ce fond extatique, trace dans le ciel des zébrures franches, développe une idée musicale d'une grande lumière mélancolique, avec des ponctuations discrètes à la batterie. Peu à peu, tandis que le violon s'est joint à la plainte, tout devient incandescent, mais se résorbe en longs moments méditatifs, le violon dans les aigus, la guitare dans de brèves volutes serrées. Survient alors la douce clarinette, et le morceau prend une allure de blues suave se balançant dans la splendeur des soirs, avec appoint de claviers et d'harmonium. "Madonetta" semble poser avec insistance, dans un petit entrelacs de guitare, banjo (?), clarinette, métallophone aussi, presque la même question suivie de silence, jusqu'à ce que la guitare, épaulée par l'harmonium, puis par la batterie (cymbales surtout), réponde par un continuum lumineux, puis un court crescendo intense ramenant au point de départ. On se sent bien, à écouter la musique d'Astrïd, parce qu'elle se soucie de nous, nous met à l'aise. Elle est de plain-pied, offerte.

   La guitare à archet ouvre "Goulphar", somptueusement. Lentes traînées, réverbérations, girations éthérées, atmosphère sublime dans des aigus ouatés que viennent tempérer des graves profonds. Après sept minutes d'une incroyable beauté lointaine, le piano vient poser une poussière de notes, la clarinette souffle des graves profonds, ramenant l'auditeur tout près d'une source chaude, dans une efflorescence percussive superbe. "Lanterna" commence comme un duo élégiaque de violon et guitare. La clarinette élargit la perspective, mais on reste dans l'intime d'une musique de chambre tapissée de silences. L'entrée de l'harmonium confère à la suite la dimension d'une cérémonie feutrée en dépit de la participation de la batterie au rituel. Loin des tonitruances, ils célèbrent, n'en doutons pas, la lanterne de vie, celle qui éclaire et réchauffe le cercle domestique. "Grey nose", s'il pointe un museau nettement électrique, reste dans cette musicalité paisible, ce dépouillement aussi, qui passe par des temps de pause, véritables respirations d'une musique qui garde des allures improvisées. "Peacock" sonne plus traditionnel avec son entrée qui n'est pas sans évoquer des taqsims et autres intro au oud par exemple, tant la guitare est comme intériorisée, surtout que la clarinette pourrait faire penser, elle, au doudouk arménien. L'effet folk est conforté par le violon chantant presque à l'irlandaise, mais en même temps contredit par une matière sonore sourdement pulsée de l'intérieur, striée de fulgurances discrètes, donnant à l'ensemble un aspect chatoyant, ocellé...comme la queue du paon du titre (ici l'imagination se donne libre cours !).

    Il reste à aller vers "Ouest", morceau atmosphérique et hypnotique, sombre et mystérieux, illuminé par une guitare électrique qui donne au titre sa couleur post-rock, même si la dominante est au final ambiante. Pas vraiment d'envolée à la Explosions in the sky, mais une atmosphère intense, une vraie matière en haute fusion, et c'est une fin de disque éblouissante !

    Vrai, le Phare Ouest n'est pas si loin  (!!) avec cette musique des grands espaces sonores à la temporalité distendue qui fait tant de bien dans notre société finalement de plus en plus étriquée. Un album radieux pour prendre le large.

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The West Lighthouse is not so far, paru en 2015 chez Monotype Records (un label polonais) / 7 pistes / 62 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- Présentation du groupe sur Métisse Music

- le site d'Astrïd

- "Ouest" en écoute sur soundcloud :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 9 août 2021)

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