Mathias Delplanque - Chutes
Publié le 3 Novembre 2015
Paru en février 2013, Chutes a failli m'échapper, au risque de chuter dans l'oubli interstellaire (je sais, j'exagère !). J'avais chroniqué le très bon Passeports, sorti en 2010 et découvert par hasard grâce aux réseaux sociaux (comme quoi on n'y trouve pas que des niaiseries narcissiques). Entre temps et après le premier cité, Mathias Delplanque, artiste majeur de la scène électroacoustique française, compositeur, improvisateur et interprète, a sorti d'autres albums que je n'ai pas encore écoutés, laissés de côté par le flux intarissable des sorties qui risque de rendre fou l'auditeur le mieux disposé. En tout cas, Chutes vaut le détour...
Dès le départ, l'osmose entre bruits divers et sons électroacoustiques est parfaite. "So" nous fait pénétrer dans un monde mystérieux, fascinant, d'une extraordinaire densité sonore. Les bruits se sont mis à vivre, sont réellement musiqués (je risque le néologisme !), intégrés dans une musique ambiante habitée, hantée par un orgue omniprésent et un léger battement percussif en arrière-plan. "Ru" prolonge cette splendeur tranquille faite de froissements secrets, de striures électroniques, d'étranges granulations et de surgissements improbables. La pièce se termine par une longue traînée somptueuse, telle une comète énigmatique qui viendrait de nous effleurer.
"Fell" commence à la guitare, sèchement, pour se développer puissamment, agrémenté de cloches. Prairies électroniques, je vous salue, vous dites la vie minuscule, le chant des éléments inconnnus, l'état des choses que nous ne voyons ni n'entendons plus. À ce stade, on sait qu'on a affaire à un musicien au sommet de son art, capable de transcender tous les sons pour chanter le continuum de la vie concrète. La pièce devient un véritable art de l'illumination, un art sonore à la Rimbaud, fleur mystique hallucinée qui laisse l'auditeur émerveillé par la maîtrise consommée des matériaux sonores. "V" dérive de manière ondulatoire, très loin de toute prise en dépit des nombreux bruits qui s'invitent, quelque part entre Pantha Du Prince et James Murray. Cloches bruissantes, matières craquées, surgissements tumultueux, qui dira votre beauté souveraine ? La pièce travaille sur les limites, abolissant la distance entre guitare saturée (?) et sons d'ordinateurs. Chef d'œuvre, c'est indéniable ! "Bu" serait une cérémonie gagaku pour bruits raffinés, un orchestre du chaos. "Flo" rejoint "So", en plus chaotique. Il semble qu'au fur et à mesure les bruits se donnent davantage libre cours, réellement déchaînés, créateurs d'un univers totalement singulier, ayant rompu toutes les amarres mélodiques traditionnelles. "Alo" est l'aboutissement de cette conquête, âpre et mordant, d'une puissance sourde, vertigineuse, tel une série d'orages magnétiques rentrés. Cette musique est réellement impressionnante !
Un très, très grand album, l'un des meilleurs de l'année 2013 et de ces dernières années !
Une couverture superbe de Dove Allouche, pour couronner le tout !!!
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)