Kancheli Pärt Vasks - Midwinter Spring
Publié le 5 Janvier 2016
Le géorgien Giya (ou Guia) Kancheli, l'estonien Arvo Pärt et le letton Pēteris Vasks sont réunis sur ce nouveau disque du pianiste italien Alessandro Stella, qui a interprété voici peu des pièces de son compatriote Matteo Sommacal pour l'album The Chain Rules paru sur le même label italien Kha Records. Direction le nord - nord est de l'Europe, avec en exergue un fragment de "Little Gidding" des Four Quartets de Thomas Stearnes Eliot, dont le début donne au disque son titre : « Midwinter spring is its own season / Sempiternal though sodden towards sundown, / Suspended in time, between pole and tropic. » (Le printemps du cœur de l'hiver est une saison par lui-même, / Sempiternelle, quoique détrempée vers le couchant, / Suspendue dans le temps, entre pôle et tropique. // Traduction de Pierre Leyris)
Certains connaissent peut-être les pièces orchestrales parfois imposantes de Kancheli parues dans les nouvelles séries d'ECM sous la houlette attentive de Manfred Eicher. Alessandro Stella a choisi a contrario seize miniatures extraites de Simple Music for piano, recueil de 33 de ses musiques de scène et d'écran. Musiques fragiles, simples, délicatement chantantes, qui, à première audition m'avaient semblé presque insignifiantes, trop faciles. Pourtant, en ce début de 2016, je leur trouve une réelle fraîcheur, une naïveté réconfortante. Dans ce monde déchiré par une paranoïa galopante, des antagonismes terribles, ces pièces font du bien. Alessandro, par son toucher sensible, extrait de chacune d'elle tout son parfum discret, subtil pourtant. On se laisse porter par cette ambiance calme, cette retenue attentive. Au fil de ces seize miniatures, on sent que les choses reprennent leur cours normal, on se surprend à sourire, on rêve. Quel bonheur, loin du bruit et de la fureur ! Mes préférées du moment sont la numéro 15, thème du "Cercle de craie caucasien", et la suivante, la 28, extraite de "Cinéma" (pistes 6 et 7). À l'exception d'une seule, il s'agit d'un premier enregistrement mondial.
D'Arvo Pärt, Alessandro a choisi Für Alina, déjà présent chez ECM New series, typique du style tintinnabuli. Il nous en propose une version lumineuse d'une incroyable intensité : comme l'escalade d'une série de brins d'herbe enneigés dans le soleil rasant des vastes plaines. Les Variationen für Gesundung von Ariuschka ressemblent à une comptine incantatoire, boucles et variations amusées pour distraire une enfant malade et l'aider à récupérer la santé.
Je découvre le letton Pēteris Vasks avec la dernière piste, consacrée à Baltā ainava (Paysage blanc : Hiver). Une phrase musicale reprise et variée, ponctuée de gouttes sonores et de silences : elle va, tranquille et belle, légèrement ouatée dirait-on pour suggérer peut-être la couche de neige épandue sur le paysage, parfois travaillée par des sous-couches sonores d'une extrême grâce, recourbées sur de fines virgules. Comment ne pas entendre le souvenir des cloches, décanté, cristallisé, sublimé ? C'est une pièce magique, splendide, qui conclut ce beau disque aux lignes si pures.
Alessandro Stella nous permet de commencer 2016 sous les meilleurs auspices en revenant à ce que nous oublions trop souvent, la beauté toute proche, simple en sa robe discrète.
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Paru en octobre 2015 chez Kha Records / 19 titres / 42 minutes.
Pour aller plus loin :
- le site de Kha Records.
- la première des miniatures de Giya Kancheli, n° 26, "Herio Bichebo" :
Alessandro Stella, piano.
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)