Musique pour une cathédrale luciférienne
Les deux jumeaux Frédéric et Olivier Charlot composent et interprètent leur musique sous le nom de Maninkari depuis 2007. Ils ont sorti depuis lors huit disques sur divers labels. Oroganolaficalogramme serait donc leur neuvième album, cette fois auto-produit sur leur label ferme-l'œil dont il est l'opus primum. Accompagné d'un grand dessin format A5 sur papier vergé en tirage limité, du rhodoïde transparent du même motif, c'est un disque vraiment singulier, hors du temps, qui a donc évidemment sa place ici. Orgue, alto, violoncelle et percussions : sept titres de musique ambiante, post-romantique à tendance minimaliste, dominés par l'orgue, majestueux, utilisé enfin comme je l'ai rêvé si souvent et si rarement entendu. L'orgue, c'est le souffle infini, la beauté transcendante. Il suffit de quelques modulations, variations, pour créer une tapisserie grandiose sur laquelle viennent évoluer les autres instruments. L'orgue remplace les voix de bourdon de la musique orthodoxe. Il émeut parce qu'il vibre puissamment, fait vibrer en nous les couches les plus profondes de notre moi, les plus spirituelles comme les plus inconscientes.
Oroganolaficalogramme : l'orgue s'élance sans cesse, il s'étire, s'étage, se répond. Aucune intention de virtuosité. Il est le préalable, le verbe sonore sur lequel s'écrit la chute vertigineuse de l'alto dans les trois premiers titres. Si l'on suit la présentation et en regardant le dessin de couverture, le disque réfèrerait à la figure de Lucifer, l'archange déchu. D'où la lumière noire de l'album, la méditation grandiose qui se déploie dans des drapés chromatiques hypnotiques. Le quatrième titre est plus sombre, envahi par des grondements, roulements percussifs graves. Nous sommes au cœur du mystère, c'est-à-dire de la lutte entre ténèbres et lumière. Mais la lumière absorbe les ténèbres (ou l'inverse), sort grandie, insolente dans le titre cinq. Tandis que l'orgue triomphe, l'alto est pris d'une véritable transe, griffe la muraille sonore comme un forcené, comme un oiseau gigantesque englué dans les replis de la robe d'orgue. Le titre six semble revenir aux tonalités ultérieures, en plus sourd, comme porteur d'un lourd fardeau. Cette fois c'est le violoncelle qui grince, se débat, lui aussi dans les graves. L'univers est plombé, voilé de drones. On croirait entendre Cerbère, le chien des Enfers, aboyer à la malédiction qui passe...L'album se termine avec le retour au couple orgue / alto. Lucifer continue sa traversée de l'espace, sombre et toujours flamboyant. L'alto serait-il ses ailes de géant ? Le porteur de lumière incendie l'espace qu'il vrille littéralement par des nappes distendues d'harmoniques et les myriades de micro éclairs produit par l'alto lové contre le grand corps de l'orgue.
Sacré nom ! J'en viens à trouver Tim Hecker presque falot ( je vais me faire des ennemis : on ne tire pas sur une icône !!).
Et le titre, me direz-vous ? Les jumeaux renvoient au langage des oiseaux, à une sorte de symbolique des lettres ésotérique et mystique...
Paru en avril 2016 chez ferme-l'œil / 7 titres / 41'.
Pour aller plus loin :
- le site du duo, très beau.
- album en écoute et en vente sur bandcamp :