Douwe Eisenga - The Piano Files II
Publié le 8 Novembre 2016
La musique du bonheur
Le compositeur néerlandais Douwe Eisenga nous gâte en ce moment. Après le très beau Simon Songs, le piano reste à l'honneur avec ses Piano Files II, son compatriote Jeroen van Veen toujours au clavier.
Les Chants d'automne (titre en français) qui ouvrent l'album sont les dignes successeurs des Chants estivaux du Piano Files de 2009. Écrits pour quatre pianos, tous sous les doigts de Jeroen, ils nous entraînent irrésistiblement dans leurs mélodies tournoyantes, leurs éclats sereins et clairs. C'est une averse belle de notes vives, une folie joyeuse, comme une course dans les champs baignés de soleil, tantôt ralentie par une saine fatigue, tantôt prise d'accès de fougue incandescente. On ne s'arrête jamais, sauf une fois, épuisés de bonheur, avec une reprise toute en quasi sourdine d'une délicatesse élégiaque, et l'on se laisse aller dans une apesanteur rêveuse, doucement carillonnante. Magnifique !
Kick, version pour deux pianos, commence par une introduction presque mystérieuse, le deuxième piano répondant comme par brèves monosyllabes décalées aux boucles obstinées et contournées du premier, puis le dialogue se fait plus égal. La marche se poursuit, tranquille, avant un bref silence et une reprise en accéléré. La pièce est une exploration brillante de motifs entrelacés typique d'un minimalisme que Douwe préfère nommer "maximalisme", puisqu'il tire le maximum d'un matériau limité, mais plus mélodique que dans le minimalisme et emprunte d'un rythme volontiers effréné, que je rattache aux musiques foraines, aux manèges, d'autant que "kick" signifie "ruade". La seconde partie de ces seize minutes est absolument éblouissante, d'une étincelante puissance, c'est tout juste si la coda nous laisse souffler.
La suite nous propose une version pour deux pianos de son concerto de piano, en trois mouvements : plutôt vif, lent, puis animé et énergique. Le premier mouvement va caracolant à un rythme métronomique comme une machine bien huilée, avec de beaux aperçus contrapuntiques. Le second chemine doucement, câlin, dans des médiums ponctués de quelques aigus et d'un zeste de graves, d'où son aspect velouté, chatoyant, comme une draperie légèrement agitée par la brise, mais d'une grâce pudique de jeune fille dansant, à peine ondulante, avant de se lancer sans frein dans la joie du mouvement vers la fin, puis de revenir à sa retenue et de s'immobiliser. Le troisième mouvement propose d'abord la chevauchée exquise de deux cavaliers qui virevoltent, font des entrechats : rien d'appuyé, c'est d'une légèreté aérienne, puis le ton se fait plus grave, le morceau monte en puissance, la cadence devient obstinée, les variations serrées. Pièce diabolique, martelée avec une précision, une élégance incroyables. Et quel souffle, quelle jubilation dans ces ajours sertis de lumière, de la dentelle pianistique qui nous enserre dans ses rets pour notre plus grand plaisir !
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Paru en 2016 / 5 titres / 59 minutes environ / Disponible sur le site du compositeur seulement sous forme de fichiers compressés (hélas !), ce qui en dit long peut-être sur la diffusion difficile de beaucoup de musiques, à moins que ce ne soit un choix de la part du compositeur...
Pour aller plus loin :
- le site de Douwe Eisenga, sur lequel vous pourrez trouver partitions etc.
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 août 2021)