Dan Joseph - Electroacoustic works
Publié le 8 Juin 2017
Totalement inconnu en France, Dan Joseph n'est pourtant pas un nouveau venu. Batteur de la scène punk à Washington, il se signale pendant les années 1980 dans le milieu des musiques expérimentales, produisant des œuvres ambiantes-industrielles pour diverses maisons de disques indépendantes aux États-Unis et à l'étranger. Dans les années 90, il étudie au fameux Mills College, en Californie, sous la houlette notamment de deux musiciens, Alvin Curran ( bien connu des lecteurs de ce blog, voir notamment l'article précédent) et Pauline Oliveros. Il a étudié également avec... Terry Riley ! À la fin des années 90, il adopte le dulcimer à cordes frappées, qui devient son instrument fétiche, et fonde son propre ensemble de chambre, le Dan Joseph Ensemble. Il donne et anime une série de concerts mensuels baptisée "Musical Ecologies".
Les deux cds publiés sous le titre Electroacoustic Works font évidemment la part belle au dulcimer à cordes frappées, devenu un instrument électroacoustique qui sert de source à des collages sonores, à des installations multi-canaux. Le premier cd s'ouvre avec "Set of Four", une composition de 2008 en quatre parties, quatre études dont la plus longue n'excède pas huit minutes et demie. Le dulcimer frappé ponctue chaque étude de quelques notes répétées à intervalles plus ou moins réguliers, le dulcimer retraité en nappes stratifiées, oscillantes, constituant la matière sonore principale, d'où la surprise d'entendre cet instrument plutôt étiqueté "folk" dans une musique électroacoustique entre ambiante et expérimentale. "Trio I", deuxième des quatre études, dépayse encore davantage par ses boucles serrées, la dimension sidérale d'une musique qui cette fois évoque la musique concrète par ses nuages sonores, la dimension particulaire de ses traînées lumineuses légèrement ponctuées par un instrument méconnaissable. "Trio II" semble revenir aux cordes frappées, à l'instrument dans sa pureté originelle, proche de la harpe, mais des craquements, une saisie précise des touchers, des frappes, des frottements sur la caisse, nous entraîne dans une étrange danse, dans une série de dérapages, d'étirements fascinants. La dernière partie joue subtilement du contraste entre cordes pincées ou frappées, cristallines et résonnantes, et un arrière-plan ambiant animé de vagues douces, puis en partie recouvertes par l'instrument cette fois joué à l'archet. Indéniablement, "Set of Four" est une œuvre originale et belle. Elle me fait parfois penser au travail d'un autre compositeur américain, Duane Pitre, qui détourne, embarque dirais-je, lui aussi des instruments traditionnels dans des formes et des ambiances totalement nouvelles.
Deux pièces plus longues, de près de vingt minutes chacune, enregistrées en concert respectivement à New-York et à Corvallis dans l'Orégon, succèdent à ces études. Titrées " Dulcimer Flight (El)" et "Dulcimer Flight (Corvallis)", elles se présentent comme deux variations, deux vols de dulcimer à base de trémolos constants et de drones harmoniques entrecoupés de déchirements bruitistes, de froissements, chuintements. On entend les sons se tordre, se transformer. Magnifique travail sur la micro tonalité, avec des passages d'une beauté hallucinante, des intégrations d'enregistrements de terrain particulièrement convaincantes ! "El" ménage moments ambiants assez calmes, méditatifs, et longs décollages à l'archet dans des arrachements sonores extraordinaires. "Corvallis" joue plus sur les continuités, les étirements, sur un fond de bruits d'eaux, avec des goulots d'étranglement dans des aigus tenus, et le dulcimer employé comme une vinâ indienne dans le dernier tiers de la composition. On flotte dans le bonheur des sons vibrants tandis qu'un chien aboie très loin dans les forêts harmoniques.
Le deuxième disque est tout entier occupé par une pièce de 2005, "Periodicity piece #6", de plus d'une heure. Comme son titre l'indique, elle travaille la notion de périodicité, un bip électronique ponctuant le morceau toutes les 17 secondes, un diapason toutes les 44 secondes et un metallophone javanais chaque minute. Si le premier intervalle entre les deux premiers bips est rempli par un quasi silence, les intervalles suivants varient les textures, à partir d'échantillons de sons tenus par une clarinette, un tuba, un violoncelle, un trombone, un violon. À notre insu, un rythme se crée, accueillant les subtiles variations, les surprises sonores. La pièce devient un immense collage, un patchwork envoûtant qui réinvente la durée. Plus rien ne pèse, les sons s'élèvent et disparaissent, quand bien même le voyage est perturbé après dix-sept minutes par des échappées et déflagrations déchirantes, tant la trame est solidement installée, richement brodée par les nappes d'un synthétiseur qui s'est invité en cours de route. Une imperceptible oscillation semble animer cette toile sereine... dont la durée première était de six heures, car il s'agissait au départ d'une installation présentée à la Diapason Gallery (justement !) de New-York.
Au total, un double album splendide, qui confirme la vitalité et l'inventivité des musiques contemporaines les plus exigeantes.
----------------------
Paru en 2017 chez XI Records / 2 cds / 7 titres / 2 heures 12 minutes
Pour aller plus loin :
- le disque en écoute et en vente :
- la vidéo officielle du premier titre, "Opening" :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 23 septembre 2021)