Andrew Heath - Flux

Publié le 6 Mars 2018

Andrew Heath - Flux

   J'ai découvert Andrew Heath grâce à Lichtzin, fruit de la collaboration entre ce musicien britannique et le néerlandais Anne-Chris Bakker, régulièrement présent dans ces colonnes. Pour introduire ce nouveau venu, je ne commence toutefois ni par le début, dans les années 1995, ni par la fin. Quelques mots de présentation tout de même. Ses premières œuvres sont marquées par l'utilisation du Fender Rhodes, du piano et de l'électronique. À la fin des années quatre-vingt dix, il collabore avec Hans-Joachim Rœdelius, du légendaire duo allemand de musique électronique Cluster (avec Dieter Mœbius), si important dans la mouvance qui donnera avec Brian Eno ce qu'on appelle aujourd'hui les musiques ambiantes. Artiste sonore, Andrew Heath réalise des installations utilisant des sons de terrain, des sons récupérés, considérés comme non-musicaux. Son premier disque solo, The Silent Cartographer, sort en 214. Partant de quelques notes de piano, d'un miroitement électronique ou du traitement d'un son trouvé, il crée des ambiances sonores à la fois légères et d'une extraordinaires finesses, sculptées dans le détail, animées de minuscules changements incessants.

      Sorti en 2015, Flux est un chef d'œuvre d'ornementation ambiante, minimale. Dès le premier titre, "Caught in amber" (Pris dans l'ambre), on plonge dans une mer irisée de bribes de piano, de nappes de clavier, de cloches, de froissements, de chants d'oiseau, de drones. Le bon vieux Fender Rhodes est toujours là, au milieu de mille sons délicats et changeants. "Typestract cipher" plonge plus profondément, animé d'une houle lente par le rythme de clochettes diaphanes. Grattements, voix et bruits à l'arrière-plan, piano et Rhodes en avant pour des fragments mélodiques peu à peu entremêlés avec les sons d'une machine à écrire : quel message secret serait à déchiffrer ? Laissez-vous porter par le "Flux", troisième titre, nettement maritime, enchanté par les sirènes des grands fonds, des frottements de coquillages, parcouru de traînées électroniques, semé de traces dérivantes. "Northlands. Ephemeral Light" est plus céleste, traversé par des mouettes et autres oiseaux, ponctué de sourds coups de drones. L'éther y est à la fois nébuleux et lumineux. Le piano est plus présent sur le court "Darkening", presque jazzy, détendu dans l'obscurcissement du paysage qui prélude à "Ghost box", craquements et sons inquiétants, comme de chiens errants à demi étouffés. La musique tremble, grelotte, sous-tendue par des drones puissants. Des fantômes tentent d'apparaître, c'est indéniable ! Et ce n'est pas le discours clair du piano qui dissipera l'inquiétude, le terrain est miné, qui nous mène vers une étrange cérémonie démoniaque peut-être. La musique d'Andrew Heath a un indéniable pouvoir de suggestion ! On pouvait s'attendre avec "Camera Obscura" à ce que la route sombre se poursuive, mais c'est plus contrasté que prévu, plus mystérieux aussi. Le travail sur le son est plus corpusculaire encore. On flotte dans des nappes, des courants, des frottis, des surgissements multiples, en état d'apesanteur au pays de la splendeur des épiphanies. L'un des sommets de cet album envoûtant. Dont les titres sont aussi très beaux, comme ce neuvième, "The Tree is sleeping", où l'on semble entrer dans la respiration rauque de l'arbre, peuplée de murmures et de voix d'antiques nymphes, comme si l'on participait aussi à ses rêves d'envol sur la fin du morceau. La technologie rencontre en effet ici la mythologie, signe de son indéniable réussite à dire le vivant profond du monde, à l'exprimer avec une incroyable délicatesse, un sens poétique rare.

   L'album numérique propose deux titres supplémentaires. "Fragment" est une étonnante étude pour pianos, si belle qu'on inviterait volontiers Andrew Heath à écrire un livre d'études pour piano(s) et un brin d'électronique. "Liminal" (Liminaire ?) s'inscrit dans la continuité de l'album, lent tournoiement de motifs étirés, mais au seuil peut-être d'un langage plus choral, plus classiquement construit en fait que les fresques-mosaïques ambiantes du reste du disque.

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Paru en 2015 chez Disco Gecko / 8 plages / 63 minutes environ (2 titres supplémentaires en numérique, + 16 minutes environ).

Très belle couverture de Zoë Heath.

Pour aller plus loin :

- l'album en écoute et plus :

Fausse vidéo pour "Camera Obscura" :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 septembre 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

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