Rougge - Cordes
Publié le 7 Avril 2018
Le dernier fragment du disque précédent de Rougge, Monochrome, se terminait par un arrangement de cordes s'ajoutant au piano et à la voix. Entre-temps, il y a eu un cinq titres en version numérique seulement. Le nouveau disque, sobrement intitulé Cordes, reprend les cinq fragments antérieurs, plus six plus anciens. Les onze fragments ont été réarrangés pour ce nouvel opus, disponible en cd cette fois. Deux violons, un alto, un violoncelle et une contrebasse composent la section des cordes qui donne son titre.
Le fragment 12 inaugural joue des dissonances, des frottements : un monde obscur s'agite, voudrait émerger du chaos. Le piano tente d'ordonner la fébrilité des cordes... Le fragment 53 est d'entrée océanique, la voix du nancéien naviguant sur les cordes orchestrales. On ne dira jamais assez la proximité de cette voix avec celle de Wim Mertens : entre haute-contre et contreténor, elle vocalise sans parole, sans filet, sur la mer qui reprend son mouvement après une accalmie. On est emporté, on dérive... Le fragment 45 est plus calme, majestueux. Sur un continuum de cordes, le piano pose quelques notes, et la voix s'élève, suave, concentrée sur un monde intérieur invisible, comme un hymne lent, une invitation à la contemplation. L'ouverture du fragment 19 est dramatique, avec un dialogue serré entre les cordes et le piano martelé, ce qui met d'autant plus en relief ce qui suit, l'envoûtement de la voix, la langueur somptueuse des cordes qui s'approfondit au fil du morceau. Le piano ouvre le fragment 22. La voix ondule une pop mélancolique, soutenue par la contrebasse, avant que les autres cordes n'interviennent dans un contrepoint élégiaque raffiné. On s'enfonce dans un rêve moelleux, ouaté : comme on est bien dans ce bercement ! Le fragment 26 propose un monde mystérieux, la voix avançant entre des massifs graves de piano desquels se détachent les cordes solennelles : on entre dans un autre monde. Celui du fragment 9, à l'introduction énigmatique et belle, qui nous plonge à nouveau dans une dimension océanique, onirique, scandée par les cordes frémissantes, tandis que la voix survole les flots telle une mouette grisée par la tempête se laisse aller au gré des creux des vents, avant de se reposer sur la plage. Petite musique entêtante, ce fragment 48 aux boucles serrées nous ballotte comme des fétus pour notre plus grand plaisir.
Serait-ce une confidence ? Piano trouble, voix confidentielle, cordes graves, le fragment 50 a des lenteurs affectées qui permettent à la voix de se renverser, de rentrer en gorge, car on n'est parfois pas très loin du chant de gorge ou du chant diphonique si répandu notamment en Asie. Le fragment 25 est une incessante tourmente : la voix se distingue d'abord à peine du torrent des cordes et du piano martelé. Le rythme s'accélère, les cordes chantent, tout s'arrête, et ça repart, la voix ulule, rentre à l'intérieur de la scansion orchestrale, étrange, étrangère. Le piano se fait sépulcral pour le fragment 33, la voix se plaint, gémit, c'est un lamento relayé par les cordes funèbres, une avancée vers un supplice...
Un disque singulier, beau, émouvant, vivant, intense, sans électronique ou technique ébouriffante. Inclassable, quelque part entre mélodie sans parole et néo-classique contemporain !
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Paru en 2017 chez Volvox Music / 11 plages / 48 minutes environ.
Pour aller plus loin :
- Un autre fragment en écoute :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 septembre 2021)