Adrian Knight - Obsessions

Publié le 17 Février 2019

Adrian Knight - Obsessions

   Né en 1987 à Uppsala en Suède, Adrian Knight est un compositeur et multi-instrumentistes, membre du groupe pop Blue Jazz TV, du duo ambiant Private Elevators et d'un collectif de jazz expérimental, Synthetic Love Dream Ensemble. Après des études musicales à Stockholm, il vient à la Yale School of Music où il suit l'enseignement... de David Lang (et de quelques autres) ! Pas étonnant, en somme, de le retrouver dans ces colonnes : il devait finir par arriver jusqu'à mes oreilles, quitte à modifier mon assez récent classement des disques de 2016, comme quoi se presser ne mène à rien, sinon à manquer l'essentiel ! Je ne connais pour l'instant rien d'autre dans son assez abondante production.

   Obsessions est une œuvre d'un peu plus de quarante sept minutes pour piano solo. Adrian Knight en dit ceci : « Toute ma vie je me suis battu contre de mauvaises habitudes, des routines, des motifs (modèles), des obsessions. (...) Que ce soit une forme de douce auto-flagellation ou un désir idiot de normalité ou de structure, ils règnent sur ma vie...Si la pièce est sur quoi que ce soit, c'est sur moi, et c'est sur elle-même, elle colle à sa propre stupide routine. Le fait qu'elle se termine est sa seule victoire. » Ailleurs il ajoute : « Je laisse les choses être où elles se sentent à l'aise. » Pour lui, la pièce est « presque comme un journal intime de routines. »

   Pour l'auditeur, la musique est tranquille, introspective, d'une sérénité un peu sombre. Elle se développe volontiers à partir de brefs accords plaqués, se répondant à un octave d'intervalle, se perdant en méandres répétitifs troués de silences tapissés d'harmoniques. Deux accords, entendus la première fois à 2'19, constitueront le motif obsessionnel autour duquel s'enroule toute cette longue promenade intérieure. Thème et variation, en un sens, mais non pour construire des développements complets, plutôt pour ouvrir des chemins, des parallèles, des clairières dans le labyrinthe qui s'agrandit peu à peu, dont on pressent qu'il serait possible de ne plus jamais en sortir, tant les sortilèges se multiplient, tant l'appel de l'obsession nous charme et nous retient, nous captive. Nous ne cessons plus de l'attendre, de l'entendre déguisé dans des accords qui sont comme ses frères ou ses sœurs dans le jardin harmonique. Aussi oublions-nous les propos du compositeur, l'espèce de compulsion un peu désabusée qui serait à la base de la composition. Nous errons dans le jardin, nous jouons à cache-cache avec les obsessions, et nous sommes ravis. Ce jardin est magique, enchanté par le retour du même qui n'est plus tout à fait le même, un peu comme si nous étions dans un film d'Alain Resnais, L'Année dernière à Marienbad, ou Je t'aime Je t'aime. Les deux amants se cherchent dans le dédale du temps, se retrouvent et se perdent. N'entend-on pas à un moment les battements réguliers d'une grave horloge ? Il est urgent de ne pas en sortir, de replonger encore dans les allées bordées de miroirs. Le temps ne passe plus, il se ramifie, se densifie, débouche soudain sur des failles sombres, bifurque. Comment ne pas penser fugitivement à la nouvelle Le Jardin aux sentiers qui bifurquent (in Fictions) de Jorge Luis Borges ? Par moments, on heurte des bosquets de notes raides, des grappes semblent se moquer avant de disparaître, on s'était égaré, mais voici que les accords obsédants reviennent déguisés, se pressent autour de nous en boucles brillantes, tout se suspend, des arpèges espiègles se fondent dans le silence. Le jardin nous semble soudain inconnu, autre. Ce n'était qu'un leurre amené par une succession de métamorphoses. Nous sentons qu'Elle est là, quelque part derrière ces remparts. Elle ? La grâce ancienne et éternelle, la Nostalgie au cœur profond des apparences, celle qui donne sens et forme à l'informe, vers qui la composition semble se diriger dans les neuf dernières minutes, si poignantes, pour une fois une ligne tenue, qui avance, pas à pas, avec retenue, une certaine solennité, le terrain monte-t-il ou descend-il, on ne sait plus. Plus de feintes, de détours, une vraie humilité, un dépouillement dans la marée d'harmoniques qui monte dirait-on, avant de s'arrêter au seuil du Silence.

Sublime ! Je refais mon classement de 2016 pour placer ce disque à la place qu'il mérite, la première !!!

Comme d'habitude, magistrale interprétation de R. Andrew Lee.

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Paru en 2016 chez Irritable Hedgehog / 1 plage / 47 minutes 41 secondes.

Pour aller plus loin :

- disque en écoute et en vente sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 1er octobre 2021)

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