Arovane & Mike Lazarev - Aeon

Publié le 27 Novembre 2019

Arovane & Mike Lazarev - Aeon

   Arovane, pseudonyme du musicien de la scène électronique berlinoise Uwe Zahn, et le londonien Mike Lazarev ont sorti en août de cette année un disque parfaitement en harmonie avec les jours gris et pluvieux de novembre, et plus largement avec les journées nimbées d'une douce mélancolie. Le premier travaille le son avec les moyens électroniques, apporte des sons de terrain, tandis que le second reste au plan acoustique avec son piano. Enregistré tard la nuit dans le studio londonien de Mike, fenêtres parfois ouvertes, Aeon voudrait capter tous les sons émis par l'instrument, la chute des marteaux, la respiration des cordes, tente de restituer l'aura des sons, leur dimension spectrale, brumeuse.

   C'est donc une musique intimiste qu'ils produisent, à partir de mélodies simples, d'ambiances soigneusement étoffées, ce que soulignent les titres : "Us, inside" / "Echoes On, quiet". Ce dernier commence à partir de souvenirs de quatuor à cordes, entendu en fond sonore, dont il se  dégage grâce à une ponctuation régulière du piano avançant dans un tissu de courtes grappes sonores, de chuchotis, de discrets cliquètements pour poser sa mélodie gracile aux graves amortis. Certaines pièces sont comme des apparitions sonores, saisies dans leur lente trajectoire, ainsi "Unedlich, Endlich", le piano à peine effleuré, enveloppé d'une trame électronique diaphane. Plusieurs titres évoquent des couleurs, nées à l'intérieur du son, des formes : "Inverse Shape, Yellow" / "Inerp, Blue" / ou encore "Elegie, Red". Le jaune surgirait des tâtonnements du piano, dont on entend bien les marteaux, qui laisse émerger un fragment mélodique clair dans une gangue cotonneuse. Le bleu, serait-ce celui de ce ciel granuleux où évolue un piano interrogatif, ne cessant de poser sa question, qui porterait sur le sens du mot mystérieux "inerp", anagrammatiquement peu productif, "rein" ou "nier" en français, "ripen" (mûrir) en anglais ? Je réserve le rouge pour la fin, car c'est le dernier morceau. Qu'est-ce qui revient le 27 décembre ("Decembre 27th, Recurring"), si ce ne sont comme des voix synthétiques sur un flux tranquille et répétitif, le sillage d'un mystère frôlé ? Et le rouge de l'élégie finale ? La trame même d'une frêle mélancolie qui ne cesse de s'approfondir, de creuser son lit de cendres. Un disque de rien, un disque que j'ai failli laisser de côté, puis je me suis aperçu que j'y revenais, encore et encore, qu'il me touchait, sans avoir l'air de rien, sans poser ni tonitruer, verlainien, dans les demi-teintes, à petites touches imprécises... Aeon, c'est le Dieu du Temps chez Les Romains : une émanation subtile de l'éternité...saisie par deux alchimistes attentifs. C'est très beau.

---------------

Paru en août 2019 chez Eilean Records / 10 plages / 33 minutes environ

Pour aller plus loin :

- le disque en écoute et en vente sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 15 octobre 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :