Melaine Dalibert (6) - Night Blossoms
Publié le 16 Juin 2021
Sixième album du pianiste et compositeur Melaine Dalibert, Night blossoms présente six nouvelles compositions des années 2019 à 2021. Quatre pour piano solo (1 à 3 / 5) et deux avec l'intervention de l'électronique de David Sylvian, qui par ailleurs a choisi le titre de l'album et réalisé la couverture (c'est la quatrième pour Melaine).
Les trois première pièces pour piano seul sont comme des hors d'œuvre, et en même temps des rappels des composantes esthétiques de l'univers du compositeur. "À Rebours", s'il est un hommage indirect (involontaire ?) à Joris-Karl Huysmans, est basé sur le codage binaire d'une séquence rétrograde : c'est un écho assagi du vertigineux "Litanie" sur Infinite Ascent (2020). Le piano assourdi pour éviter la saturation possible liée aux répétitions rapides de motifs (sur les trois premiers titres d'ailleurs) contribue à une ambiance feutrée, comme si les motifs se déroulaient dans un espace intérieur assez étroit, équivalent spatial de l'écriture algorithmique employée, d'un rigorisme austère. "Windmill" est plus rapide : le moulin tourne vite sur le mode lydien sa suite de courts motifs. Comme pour le premier, l'assourdissement du piano, sa limitation, me donnent peu à peu une petite impression d'étouffement. Je sais qu'il s'agit de fleurs nocturnes, le titre nous prévient, mais ne respire-t-on pas plus largement certaines nuits ? J'attends une respiration... "Eolian Scale" s'élance enfin, encore une pièce algorithmique, mais plus proche de l'esprit minimaliste, avec une belle intrication de motifs polyrythmiques. On oublie (pas totalement...) l'instrument assourdi, séduit par cette beauté fluide, le vertige litanique de ce piano en mode continu, si je puis dire en pensant à Lubomyr Melnick. Je laisse de côté la pièce 4 pour le moment...
Heureusement, voici "Sisters", le piano qui sonne librement. Long canon qui superpose les motifs, la pièce rafraîchit par son lyrisme, ses couleurs changeantes, son ondulation vaguement dansante. Quelle superbe pièce de transe, d'une épaisseur orchestrale magnifique !
Depuis Ressac, Melaine Dalibert rêvait d'associer un contrepoint électronique à ses compositions algorithmiques minimales. David Sylvian réalise ce souhait sur le couple "Yin" / Yang" (pièces 4 et 6). Je passe sur les détails techniques pour faire simplement remarquer qu'elles dérivent, nous dit le compositeur, du même algorithme. L'électronique enveloppe le piano d'une traîne diaprée, prolonge les notes discontinues et leurs résonances par un réseau très fin d'échos et d'accidents sonores. Des textures troubles, déchirées, délicatement sculptées, ajoutent une dimension sensuelle, mystérieuse, à ces deux méditations au hiératisme solennel : ne se promène-t-on pas dans un jardin de temple japonais par une nuit de pleine lune ? Deux très belles réussites d'un grand raffinement sonore !
Mes fleurs nocturnes préférées : 1) "Sisters" (5) / "Yin" et "Yang" (4 et 6)
2) "Eolian Scale" (3)
Si les deux premières pièces, bluettes étouffées, ne vous découragent pas, vous serez récompensés par la suite : quatre fleurs nocturnes épanouies entre Occident et Orient !
Paru le 11 juin 2021 chez elsewhere music / 6 plages / 44 minutes environ
Pour aller plus loin
- L'association entre le piano et l'électronique vous intéresse ? Écoutez Music for piano XL d'Alvin Lucier ou The Fall d'après le November de Dennis Johnson par le pianiste Nicolas Horvath et le compositeur de musique électronique Lustmord.
- album en écoute et en vente sur bandcamp :