Philippe Petit & Michael Schaffer - 2
Publié le 15 Janvier 2022
Comment ne pas être submergé par ce disque ? Après les arabesques minimales délicates et ironiques de Mario Verandi avec le Buchla, le contraste est rude. Philippe Petit a étudié la musique électroacoustique au Conservatoire National à Rayonnement Régional (c'est beau, ces dénominations, non ?) de Marseille, plus particulièrement la synthèse modulaire et la spatialisation acousmatique. Quant à l'allemand Michael Schaffer, c'est un compositeur de musique expérimentale, ambiante, également peintre et parolier, cofondateur du label Opa Loka Records sur lequel sort 2 (ou II), deuxième collaboration des deux artistes.
La couverture annonce le ton. Je ne sais pas si elle est de Michael, mais elle renvoie immédiatement au célèbre tableau du norvégien Edvard Munch Le Cri (1893), tableau qui a inspiré tant de monde ! Un expressionnisme dramatique, halluciné, comme la musique de cet album !
J'aime bien le court texte de présentation des deux inspirés, sans prétention aucune, sans frime technique. Ce qu'il me faut, alors je le reprends : « Du haut d'une colline, tout à coup, il y eut un grand grondement et un éclair de lumière au-dessus de la montagne. Tous ceux qui étaient en dessous ont été surpris et se sont réveillés soudainement. Tout le monde est sorti pour regarder et juste au-dessus de la montagne, il y avait des éclairs et du tonnerre, et un nuage très épais pendait au-dessus de la montagne afin que vous ne puissiez pas voir le sommet. Même la montagne a tremblé et le son de Buchla et des guitares pouvait être entendu de plus en plus fort…»
C'est une musique battue par le vent, apparemment un peu foutraque. Traversée d'incendies, de coulées sales. Diablement habitée, grondante, brûlante. Guitares et synthétiseurs s'enlacent furieusement ou vont chacun de leur côté, délimitant un espace sonore troublé, troublant. La matière sonore est une pâte en constante métamorphose, au lyrisme indéniable sous les tourbillons. Le premier titre devient une longue échappée vers une improbable lumière à partir de bas-fonds tourmentés, et tout s'enflamme magnifiquement ! Le suivant juxtapose une guitare en altitude et des grouillements électroniques au premier plan, le tout hachuré d'aigus incisifs. Quelle mixture ! Et en même temps quel tempérament, un univers à la David Lynch ou à la Lucian Freud !! La troisième partie commence par des nuages de picotements, une sorte de pointillisme fou, puis la guitare affreusement enrhumée, un synthétiseur méconnaissable dans ses bandelettes, se répondent mollement, les drones prolifèrent pour mieux perturber l'ensemble. On l'aura compris : tout le contraire d'une musique lisse, claire. Une musique en roue libre, qui s'enfuit de tous les côtés, revient méconnaissable. Qui, au passage, vous embarque comme elle m'a embarqué alors que j'étais en train de faire de la photographie, que je tentais une deuxième écoute, la première ayant été partielle et m'ayant laissé sur ma faim. La quatrième partie, on dirait un brouillon, une esquisse, et puis ça prend, un rythme puissant sur lequel se greffent des surgeons sonores, la vie bondissante, sauvage, avec un abandon élégiaque totalement imprévu chargé de scories et le retour irrésistible du bondissement hirsute dans une gangue de sons déchirés. Des pas lourds, semelles de plomb de cosmonautes sur une planète inconnue, qui soulèvent non du sable, mais des fragments harmoniques, comme la nostalgie d'une beauté en miette, que les deux musiciens achèvent rageusement de recouvrir sous un vacarme trépidant, un véritable pilonnage. La peur de l'émotion facile, alors un détour par le chaos, le tumulte, la recherche du cri vrai, de l'arrachement pur... Un expressionnisme à l'envers, d'une certaine manière. Une pudeur camouflée sous un goût prononcé pour les marécages sonores, les coulisses obscures, encombrées de textures froissées, angoissantes. C'est en enfer que nous mène la sixième et dernière partie, avancée presque goguenarde dans sa noirceur vers l'ultime flambée, avant la disparition !
Une musique foisonnante de noirceurs troubles, venues de l'Autre Côté ou du fond de l'inconscient pour nous envahir !
Paru en décembre 2021 chez Opa Loka Records / 6 plages / 42 minutes environ
Pour aller plus loin :
Rien à vous proposer en écoute si ce n'est :
- album en écoute partielle (un titre seulement) et en vente sur bandcamp :