Svarte Greiner - Devolving Trust

Publié le 1 Mars 2022

Svarte Greiner - Devolving Trust

   Le Chant des âmes perdues

   Prenez un violoncelle. Mettez-le dans les caves-bunkers de la brasserie Schneider (ruinée par les bombardements) à Berlin. Laissez-vous aller à une méditation improvisée, avec un prolongement électroacoustique. Vous obtenez le premier long titre, "Devolving Trust", fabuleuse dérive sonore dans cet espace humide et creux, au noir passé et à la réverbération magnifique. Musicien norvégien installé à Berlin, qui dirige le label Miasmah recordings, Erik K Skodvin, sous le pseudonyme de Svarte Greiner, revient à la veine de ses deux longues formes des albums Black Tie et Moss Garden, une veine qu'il qualifie de "musique zen pour âmes troublées".

  "Devolving Trust", enregistré en direct. Le violoncelle dans les graves laisse résonner chaque note, déchire le silence énorme. On s'enfonce encore plus dans le sol. C'est une musique désolée, superbe, traversée de zébrures violentes, avec les sons qui ricochent, reviennent. Du drone naturel, impressionnant, dont s'élève au bout de cinq minutes un chant profond en longues lames vibrantes, parsemé de micro gémissements, de craquements, comme un cercueil qui s'ouvrirait pour laisser sortir les morts-vivants, dont les esprits font grincer le bois et dessinent de frêles entrechats. Musique hantée, sépulcrale, respirations et râles dans les caves d'un passé maudit. Tumultueuse résurrection ponctuée de coups d'archets abyssaux pour un monochrome d'une splendeur confondante. Les sons s'enroulent, s'échappent, rugissent, enveloppent l'auditeur dans un manteau de vivantes ténèbres. Les âmes troublées laissent échapper comme des jappements, des petits cris, on dirait des chauves-souris lacérant l'espace clos. Angoisse et déréliction, et pourtant une beauté bouleversante portée par un rythme ample, lent. Tout retournera au noir sur un tapis intermittent de notes percussives très basses, en dépit de plaintes ultimes, d'une révolte farouche.

Svarte Greiner - Devolving Trust

     "Devolve", la seconde pièce, est un peu comme l'écho de la première, dit le musicien, construite à partir de fragments de la performance précédente : « un écho minimal et inversé, creusant davantage dans l'inconnu ». Plus dépouillée, autour de rayures noires, amplifiées, résonnantes, la pièce n'est pas moins réussie que la précédente. La méditation s'intériorise, tout en courbes retournées vers le dedans, grondantes dans un tapis épais de drones opaques. Une grande paix se dégage de cette prière austère, qui ne sort des graves après six minutes environ que pour s'envoler dans des hauteurs voilées. La pièce s'anime alors, théâtre d'un étrange ballet pulsant à basses fréquences tandis que le ciel est parcouru de notes prolongées, d'éclairs immobiles, de battements d'ailes. Tout se met à tournoyer, dans un mouvement hypnotique saisissant qui ne laisse que les drones et un sillage éthéré, comme si des esprits prenaient possession de l'espace avant de disparaître.

   Un disque extraordinaire, d'une beauté épurée, hallucinée.

Paru en février 2022 chez Miasmah Recordings / 2 plages / 43 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

   Si vous aimez la musique d'Erik, je vous conseille aussi le disque The Night Hag, en collaboration avec le pianiste Kreng (alias de Pipijn Caudron), musicien belge qui a déjà collaboré avec Erik, mais aussi avec Kaboom Karavan. Une pièce unique de plus de trente minutes, tapisserie ambiante hypnotique, le piano harmonisé de Kreng enchâssé dans les "miasmachines" d'Erik K Skodvin. Paru en février 2021... à prendre en compte pour ma future liste des disques de cette année 21 !

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