Vlady Miss - Vulnérable

Publié le 25 Mars 2022

Vlady Miss - Vulnérable

Chansons explosées

   Après ViE sorti en janvier 2021, Charles-Éric Charrier, alias Vlady Miss, revient avec Vulnérable, treize chansons très libres, tendres et sensibles, sur des musiques diversement embrasées, pop acide, accents folk ou industriels, voire minimalistes. Toutes ont un grain de folie, dérivent pour nous surprendre. Voix, chœurs, boîtes à rythmes, un peu d'électronique, et du bandonéon ! L'essentiel, ce sont les mots dits, à peine chantés,  mots sans fard, avec des répétitions parfois, qui dessinent de titre en titre comme un examen de conscience au bord du mauvais goût, sauvé par une ingénuité nonchalante. C'est ce que j'aime chez Vlady Miss : l'absence de prétention, une manière d'être là, plein cadre, au ras de la peau, au ras de l'âme, pour dire les petits riens dont nous sommes la somme. Les yeux fermés, la barbe mal rasée, l'épaule un peu dénudée, c'est une voix intime au bord du murmure, qui déborde. L'album est dédié à tous les enfants.

   Ce sont chansons d'amour, presque à la Léonard Cohen sur le premier titre "Fuck You Vlady Miss", voix grave qui en veut à Vlady Miss en même temps qu'elle l'aime, quel envoûtement au fond du souffle et des grondements de la musique déchaînée.  Le tour de force du très bref second titre (une demi-minute), c'est de nous asséner un état des lieux réaliste et facétieux de notre monde pitoyable : «

Sur le quai
Industriel
Plus personne
Ne réagit
La fatigue
Est si réelle
Que même
Les rats
Sont étourdis
Dans mon nez
Mes doigts
Sentent
Le fer

Juste
L'odeur des globules rouges
Il n'y a rien à y faire...
Nous assène
La radio

Titanic
C'est pas trop tard
Titanic
Un paquet de miroirs
L'humanité parmi les hommes »

   "Pétrolifère" est un titre plus industriel, bruitiste, sur l'absence de communication, avec peut-être une allusion au film Déjà mort : « Promène-toi donc
Dans mes entrailles
Ne vis aucune
Hésitation
La ballade se fait
Comme un charme
Armé de rien

À peine là, déjà mort. » (refrain)

   Dans ce monde abruti, déjà mort, il ne reste que des signes infimes de notre survie, le goût des corps, la recherche de la volupté. "La ballade asiatique" à la musique affolée chante le galbe des seins, les baisers chauds. Suit l'étrange prière litanique sur une musique aux accents rock, syncopée, détruite, "Mon Dieu", dans laquelle le "je" se cesse de se déprécier aux yeux de Dieu : chanson si touchante, et si belle ! La laideur revient dans "Mine de rien", très rock. Cette fois, c'est le "tu" qui se trouve « moche » : « Tu m'as dis
Ce matin
Comme tu te trouvais
Moche
Et tes larmes
Coulaient
Sur ta joue
Mine de rien !
Une fois vu
C'est un bon début.
Mine de rien !
Et une fois vu
C'est un bon début.

Moi qui croyais
Mon cœur déjà
Tronçonné
Là, il est tombé
À terre
Et à sa place
Un trou béant de larmes
De bras qui tombent »

   Des paroles au couteau, l'humour d'un désespoir absolu ? Le tremblement de "Si tu crois" refuse de s'en tenir au seul amour comme sortie, car il y a le « soleil débroussaillé » à regarder, ce soleil qui fait déraper la chanson dans une autre dimension, surréelle. Puis quelques mots dépouillés pour chanter le départ « d'un p'tit gars », quelques mots encore pour évoquer une décision amoureuse dans "1.1" au bandonéon fou, avec toujours cet art de finir chaque chanson par un décrochage en principe étranger au genre de la chanson, et c'est tant mieux.

   J'aime beaucoup la profession de foi (libertaire) de "Chef Chef" (titre10), que Vlady Miss met en pratique dans ses chansons non conformes, ici avec le mur électronique de la seconde partie et les voix rieuses des enfants : « Vis ta vie
Sans l'avis
Du chef chef
Sans la voir
L’amour … Tu
L'avoir tu
Sans la voir
Clairement....
Et c'est pas grave
Si avec les boyaux
De ta tête
Tu n'entraves plus
Que dalle  »

   Pas question d'être triste, même si le lance-pierre (titre 11 "Un petit lance-pierre") « pour tirer / dans la tronche des gars » n'a guère comme cible... que lui-même, ô dérision.

   J'en arrive au bouquet final. Le très beau "Chef Chef Chef", variation sombre sur le titre 10, aux accents sourds de révolte avec une musique répétitive somptueusement hallucinée : « L'argot du Cœur
Dans la pénombre
Du temps des cerises
N'a plus le "temps"
De tergiverser
Il ajuste ces lunettes
Infra rouge
Et commence son voyage....

Infra rouge dans les replis
De la peau jusqu’ aux nerfs
Au karcher l'eau
Au karcher l'eau de mon corps
Jusqu'à tout débusquer »

  Et puis le bouleversant "Danse" autour de l'hypothèse d'une rencontre, c'est pour cela qu'il « a mis sa plus belle / chemise / pour aller danser » : dans la boucle des « peut-être », la danse hypnotique de la vie...

  Un album comme une rencontre avec l'essentiel, une descente dans les replis / de la peau jusqu'aux nerfs.

 

Paru en février 2022 / autoproduit  / 13 plages / 35 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp (avec toutes les paroles) :

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