Linnéa Talp - Arch of Motion
Publié le 18 Août 2022
Voilà un disque qui s'inscrit, par hasard ?, dans le droit fil de l'article précédent. Compositrice, productrice, Linéa Talp est aussi chanteuse, violoncelliste et organiste. C'est l'orgue qui tient ici la première place, même si elle joue aussi du synthétiseur modulaire et si elle est accompagnée de six musiciens respectivement à la clarinette basse, la flûte, au trombone, au grand piano et à la guitare, sans oublier une vocaliste.
Deux particularités frapperont l'auditeur. D'une part les autres musiciens font des interventions extrêmement limitées, discrètes, comme s'ils restaient dans l'ombre de l'orgue : ils ont improvisé dans cet esprit indiqué par Linnéa, qui a ensuite sélectionné les passages pour le disque, avec très peu de montage.. D'autre part, la volonté de la compositrice est de rester au plus près du souffle de son instrument. Elle dit avoir essayé de travailler avec son corps, son souffle et son écoute : « Je voulais intégrer une sensation de mouvement lent et simple dans la musique - pousser / relâcher, avancer / reculer, inspirer / expirer, tout centré sur le fait d'être présent, traduit en son. »
Le premier titre, "To Whom", peut être entendu comme un curieux cantique, la voix de la chanteuse restant collée contre les sons de l'orgue, qui s'effilochent en aigus troubles se mêlant à la flûte. Le titre éponyme respire une paix profonde. Il égrène lentement les notes sur un fond léger de sourdine, puis des drones amortis, arrondis (du synthétiseur ?) et les graves à peine perceptibles du trombone. "Going Nowhere" n'est d'abord qu'une note tenue, très douce et intense en même temps, contre laquelle s'appuient d'autres instruments en filigrane dirait-on, dans un unisson respiratoire d'une immense délicatesse.
Rarement un disque aura à ce point refusé toute démonstration, toute performance virtuose. Les pièces de Linnéa relèvent plus de l'écoute profonde (deep listening) chère à Pauline Oliveros. Il semble qu'elle cherche à saisir les racines du souffle intérieur, les infimes mouvements de l'âme dans la contemplation d'une beauté diaphane. On peut penser aussi aux glissements de l'orgue parfois chez Ligeti, mais des glissements saisis à leur source, qui se muent en pluie diaprée. Avec "Inhale", par exemple, le souffle se vaporise, diffusé contre une légère paroi vibrante : ce qu'il reste de la voix, littéralement fondue dans le flux d'un calme souverain. On retrouve cette voix dans le titre suivant, "Råsunda Kirka (Exhale)", une voix un peu plus audible, mais si humble, tremblante et comme blottie aux pieds de l'orgue tranquille, profond comme l'univers. La clarinette basse lâche quelques notes au début du dernier titre, "The Continuation". Elle aussi se fait souffle, avant que l'orgue déploie pour une fois des fastes plus grandioses, vite transformés toutefois en poussées méditatives.
Ce serait, j'imagine, un disque à déguster lors d'une nuit nordique, d'une nuit dont ne sait plus très bien si elle est nuit, ou si le jour ne l'informe pas, de très loin, venu d'un autre monde sans pesanteur.
Paru fin avril 2022 chez Phanatosis Produktion (Suède) / 8 plages / 32 minutes environ
Pour aller plus loin :
- album en écoute et en vente sur bandcamp :