Martin Taxt - Second Room
Publié le 15 Août 2022
Musicien de jazz norvégien né à Trondheim en 1981, Martin Taxt signe avec Second room un second disque consacré aux rapports entre la musique et l'architecture. À partir d'une conférence de l'architecte japonais Sou Fujimoto dans laquelle il compare le nid et la grotte comme liés à deux manières de concevoir la vie. Pour aller vite, disons que le compositeur mise plutôt sur la grotte sombre et inconfortable, qu'il s'agirait d'explorer sous toutes ses coutures pour y trouver des endroits confortables. Il faut reconnaître que l'appellation "jazz" surprendra plus d'un auditeur, moi le premier. Certes, les quatre pièces sont écrites pour tuba... mais microtonal, et contrebasse ou saxophone alto, toute ressemblance s'arrête là, car d'autres instruments entrent en jeu. Il s'agit bien de musique contemporaine expérimentale, instrumentale. Les cinq musiciens jouent tous des clochettes, mais les autres instruments vont du tuba microtonal (il y en a deux), contrebasse et saxophone alto à l'orgue et au synthétiseur modulaire. Précisons tout de suite qu'une oreille exercée seule discernera un instrument d'un autre à certains moments, tant les compositions, en privilégiant les graves et les sons tenus, tendent à fondre les timbres dans un doux maëlstrom.
Le premier titre, "Cave vs Nest", plonge dans la grotte grave avec des à-plats d'orgue très lents, comme si d'emblée la grotte prétendait à devenir nid, accueillante et soporifique à souhait. À dire vrai, ces distinctions sont théoriques... La musique est ouatée, profonde, légèrement ondulante, elle fait penser à des couches successives de naphte bouchant peu à peu tous les interstices. Elle se répand, sombre et chaude, avec à peine quelques veines un peu plus claires dans l'épaisseur de la masse. "Swelling Forms of Domes" commence solennellement avec des clochettes : c'est un rituel magmatique qui commence, graves et drones mêlés en une torsade à demi suspendue tant elle s'étire avec lenteur. L'éclosion de formes pleines, gonflées, si l'on songe au titre : la musique lève, les instruments brament, et soudain tout se dégonfle, part en phrases décousues, en aigus à demi liquéfiés. Le mirage se serait-il évanoui ?
L'introduction avec clochettes est davantage formalisée avec "Paving Seen From Above" (Dallage vu d'en haut), pièce plus nettement ambiante, traversée de sifflements, très méditative. Les motifs répétés lentement rentrent en consonance avec des drones étirés qui finissent par occuper tout l'espace sonore, dont l'implosion sourde ne laisse pas d'être assez somptueuse. Quant au dernier titre, "Disruption, Disjunction, Deconstruction", j'oublie la présentation théorique pour privilégier la réception des effets, comme à mon habitude. J'aime ces grondements qui se recouvrent partiellement, l'impression d'une source ténébreuse dont les instruments charrient les limons avec d'infinies précautions.
Cette seconde chambre séduit par la paradoxale suavité de ces graves alanguis, aux vrombissements chargés de zébrures se perdant dans la nuit de la grotte.
Paru fin mai 2022 chez Sofa Music / 4 plages / 45 minutes environ
Pour aller plus loin :
- album en écoute et en vente sur bandcamp :