All That We See or Seem
Publié le 1 Novembre 2022
Deux Poèmes épiques des Éléments
« Lâchez, Vanha, la rage d'une tempête terrestre ! Détachez les éléments, ouvrez complètement le ciel ! Sur la Terre, laissez prévaloir une tempête incessante, afin que dans ma poitrine je ne ressente pas la misérable douleur. » (Eino Leino)
Comment commencer normalement avec un tel disque ? Un double orage épique extraordinaire, qui traverse l'être et nous propulse dans le cœur grondant des Éléments...
Ils ont osé prendre comme nom de groupe et titre de l'album un fragment du poème d'Edgar Allan Poe, A Dream within a dream, et ils sont bien fait. Tous les esprits et les démons sont là dans les deux longs morceaux de l'album, chacun autour de trente minutes. Le groupe réunit la britannique Ellen Southern (voix, enregistrements de terrain, percussions), le finlandais Gruth (concept, production, électronique) et la finlandaise Johanna Puuperä (autre voix, violon, synthétiseur modulaire).
"Myrskymielellä" (Orageusement ou Une tempête dans l'esprit, d'après mon traducteur que j'améliore, j'espère...), le premier titre, est emprunté à un poème de 1891 écrit à l'âge de treize ans par le poète national finlandais Eino Leino (1878 - 1926). L'orgue plane au-dessus d'un magma composé de bruissements aquatiques, de mystérieux sifflements et de lambeaux de voix. C'est un orage qui tourne dans la nuit des Esprits. On entend des respirations, des émanations, des ébauches de mots. Les sorcières sont rassemblées, chuchotent, prononcent des formules incantatoires. L'atmosphère se densifie, se peuple peu à peu. Le violon pose ses plaintes et déchire le ciel, agité de tourbillons troubles. Une percussion lointaine scande le flux, tandis qu'une voix entame une lamentation ou une imprécation, entourée d'autres voix menaçantes, grinçantes. C'est absolument grandiose, je pensais à l'atmosphère foudroyée des disques de Carla Bozulich. J'ai pensé aussi au sublime Grá agus Bás de l'irlandais Donnacha Dehenny. Pour la manière de renouer avec la sauvagerie dévastatrice et dévastée de lointaines origines. Commence en effet alors une véritable cérémonie païenne dans un ciel saturé, parcouru de cliquetis, et des voix comme des comètes, des cris ancestraux, venus de si loin. Les percussions se déchaînent, le violon ressemble à un doudouk, les voix halètent, composent un chœur d'esprits infernaux pour une transe frénétique et magnifique, seule à même de combattre les tourments de la vie.
Un autre fragment du même poème d'Edgar Poe, "A Dream Within a Dream", sert de titre à la seconde composition. Les fracas maritimes nous accueillent sur ce rivage, sur cette île inconnue. La mer est incessant déferlement, au milieu duquel le(s) violon(s) et les synthétiseurs brodent des variations délicates et majestueuses, tournoyantes et obsédantes. Plus rien n'existe que la beauté terrible des eaux et des ciels, célébrée par des voix libérées de tout vouloir dire, des voix de prêtresses inspirées. Comment ne pas penser à certaines musiques de Dead Can Dance, avec la voix de Lisa Gerrard ? C'est le même univers, la même façon de s'immerger dans le monde primordial, mais avec une différence essentielle : le trio prend le temps de l'épique, s'est donné les moyens musicaux d'une somptuosité à laquelle le duo britannico-australien n'est jamais parvenu, en dépit de très belles réussites. Ici, les voix angéliques hantent un espace immense, habitent une durée d'une densité confondante, celle des rêves qui ne finissent pas de nous tisser d'abîmes. C'est une musique authentiquement vertigineuse, bruissante des mondes disparus, des cohortes d'esprits errants comme des mouettes dérivantes dans le flot et les vents mélangés. C'est la procession infinie des fantômes que nous sommes dans l'Océan des Âges.
Une heure de beauté frémissante, solennelle ou sauvage.
Une réussite exceptionnelle. À l'évidence l'un des meilleurs disques de 2022.
Avec une photographie de couverture sublime, portail de ce monde dans lequel l'homme inconsistant est charrié comme les nuages !!
Paru en octobre 2022 chez Miasmah Recordings / 2 plages / 58 minutes environ