Chris Abrahams - Follower
Publié le 16 Janvier 2023
Connu comme membre du trio de jazz d'avant-garde The Necks, le néo-zélandais (qui a grandi en Australie, vit à Sidney) Chris Abrahams, compositeur et pianiste, a derrière lui une carrière bien remplie. Outre sa participation à d'autres groupes de jazz, il a collaboré avec la chanteuse et compositrice Melanie Oxley, collaboration qui s'est traduite par cinq disques dans les années quatre-vingt dix, et a sorti plusieurs albums de piano solo. Avec Follower, son sixième album chez Room40, il explore des frontières musicales improbables grâce à son piano, au cœur de ses compositions, l'orgue et l'électronique. L'album comprend deux pièces de plus de dix minutes (titres 1 et 3), et deux un peu plus courtes, d'environ quatre (piste 2) et huit minutes (piste 4).
Un album déconcertant ?
À première écoute, c'est évident. Passer du long "Costume", très planante ambiante dominée par l'orgue, au court "New Kind of Border" qui, passé une minute, propose un jazz expérimental dans lequel le piano roi caracole sur fond de frottements métalliques et de craquements percussifs, cela surprendra. Pourtant, à chaque fois, Chris Abraham n'en reste pas à l'horizon attendu. Ainsi, le magnifique "Costume", piano profond et méditatif sur une mer d'orgue et de cloches, après une série de méandres superbes sur la mer envahie par un clapotis d'éclats, s'enfonce dans un agglutinement électronique, sorte de mur post-radiophonique à l'arrière duquel s'entendent quelques échos du piano englouti : cette fin abstraite et bruitiste est déjà ailleurs. C'est l'inverse sur "New Kind of Border" : après une entrée ambiante raffinée, le piano accapare l'attention, détruit la fresque pour imposer son numéro d'un jazz très libre, proche de la musique contemporaine, mais lui-même évolue sur le fond de percussions frottées, roulantes, évoqué ci-dessus.
En écoute sur la vidéo ci-dessous, la première partie de "Costume...qui semble éviter la suite, moins consensuelle ?
New Kind of Border (Nouveau type de frontière)
On s'y fait vite : c'est un album qui va où il veut, pour le meilleur, loin des poncifs. C'est le cas encore sur le magnifique second long titre, "Sleep Sees Her Opportunity". Cette pièce onirique envoûtante est un bijou de musique électronique minimale. De fines boucles ondulantes voient surgir des phrases isolées de piano, d'autres boucles d'orgue et un frissonnement de sons variés. Où sommes-nous ? Sur les rivages du sommeil, nous répond le beau titre. La superposition de toutes ses strates donne à la composition sa dimension étrange. Le piano se liquéfie, les bruits montent sur une légère pulsation, des percussions tribales hantent l'arrière-plan. Une merveille !
Des percussions bondissantes en rang serré vous attendent pour un concert imprévu. Le piano brumeux déroule sa mélodie sur ce fond imperturbable... que viennent toutefois troubler un cliquetis électronique, des frappes percussives isolées et un bourdonnement machinique de drones. Le titre "Glassy Tenseness of Evening" (Tension vitreuse du soir) explicite cette tension sourde qui fait paraître les arpèges du piano menacées d'effondrement, là, tout en haut, dans des nuages artificiels. Il est étonnant et mystérieux, ce dernier titre !
Mes titres préférés : "Costume" (le 1) et "Sleep Sees Her Opportunity" (le 3)...suivis du 4 dont il vient d'être question. Et le 2 s'écoute, je vous rassure !
Un très bel album, à l'écriture raffinée, pour voyager ailleurs, sur d'étranges sentiers.
La couverture me laisse dubitatif. Elle me semble bien brutale pour cet album délicat et nébuleux, mais je vois la bande verticale noire comme la marque des intrusions et des distorsions qui affectent les morceaux pour les entraîner ailleurs.
Ci-dessous un court extrait du titre 3.
Paru début décembre 2022 chez Room40 / 4 plages / 38 minutes environ
Pour aller plus loin
- disque en écoute et en vente sur bandcamp :