Colin Stetson - Chimæra I

Publié le 25 Janvier 2023

Colin Stetson - Chimæra I

   Corniste installé à Montréal depuis 2007, Colin Stetson a joué avec Tom Waits, Arcade Fire, Laurie Anderson, Lou Reed, Bill Laswell, et bien d'autres. Il s'est peu à peu imposé comme soliste, surtout au saxophone et à la clarinette. Chimæra I regroupe deux pièces longues aux bourdons (drones) prolongés, poussant ses capacités physiques vers de nouvelles frontières.

   Les deux pièces nous propulsent dans un monde d'une incroyable densité sonore, peuplé par un saxophone démultiplié, dont les flots magmatiques emplissent une immense caverne sonore. On ne sait plus où finit le saxophone, où commencent d'autre sonorités, car on croit entendre des voix dans ce profond déferlement. Le premier titre, baptisé "Orthrus", renvoie d'une part à une espèce d'araignée, peut-être parce que cette musique tisse des fils, nous enveloppe dans un cocon velouté, celui des drones, des bourdons, mais aussi d'autre part, dans la mythologie, au chien à deux têtes, fils d'Échidna et de Typhon, qui gardait le bétail de Géryon. Nous voici chez les monstres, du côté du chaos primordial, de créatures hybrides. Le saxophone de Colin Stetson crée sans cesse des hybridations proliférantes, monstrueuses en ce sens qu'elles semblent s'auto-engendrer, entourées de voix sépulcrales gémissantes et de boursouflures craquelées, qui raclent la matière des drones.
 

  

   Le deuxième titre, "Cerberus", est le frère du premier, et confirme que Colin a sans doute pensé à la mythologie plus qu'à l'araignée, puisque ce chien à trois têtes (ou cinquante selon les auteurs...) est le frère d'Orthrus. Quelque chose se déchire doucement sous la poussée du bourdon en vrilles lentes, libérant des esprits infernaux. Les drones se croisent, se superposent, avec une voix plus aiguë qui traverse parfois ce brouillard opaque. Le saxophone est devenu l'instrument d'un ballet ambiant de boucles multiples, dont la densité semble augmenter jusqu'à saturer l'espace. Musique écrasante, tellurique, comme marbrée de traînées plus vibrantes. C'est un maelstrom au ralenti, peuplé de voix fondues dans la masse, à peine aéré d'un passage plus calme à mi-chemin. N'oublions pas le titre de l'album, Chimæra : cette créature fantastique est un hybride, à la limite du descriptible, comme cette musique fabuleuse, gonflée d'apparitions sonores, d'appels incessants...

   Deux hymnes puissants aux pouvoirs inconnus du saxophone !

Paru en novembre 2022 chez Room40 / 2 plages / 42 minutes environ

Pour aller plus loin :

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