Annkrist - Enchantée / Une réédition-événement

Publié le 15 Février 2023

Annkrist - Enchantée / Une réédition-événement
   Une réédition attendue depuis longtemps...

   Entre 1975 et 1986, la chanteuse brestoise a sorti cinq disques, jamais réédités depuis. Les deux derniers, parus en 1986, Bleu cobalt  et Ange de nuit, ont reçu un prix exceptionnel de l'Académie Charles Cros en 1987. Prix mérité pour une chanteuse qui a médusé et envoûté ceux qui l'ont entendue et vue en concert, ou simplement écoutée sur disque. On n'oublie pas Annkrist, Annick-Christine Le Goaer pour l'état-civil, quand bien même sa relativement brève carrière (elle s'est retirée du monde musical dès 1986) n'a pas connu le retentissement qu'elle méritait. Aujourd'hui, grâce à l'obstination d'un écrivain-journaliste, Jean-Luc Porquet, les cinq disques reparaissent dans un coffret, accompagné d'un livret comportant le texte de cinq chansons (seulement, mais c'est déjà inespéré).

Une chanteuse et poétesse incandescente

« J'ai dansé en chaussons de cuivre / Dans le rêve d'un cristal ivre », écrit-elle dans "Bleu cobalt", chanson titre de son quatrième album. Car elle a écrit, composé toutes ses chansons publiées, et d'autres inédites. La France ne lui a pas pardonné d'être une poétesse à l'égal d'un Léo Ferré. Elle ne mâchait pas ses mots, écrivait une langue presque inconnue pour les médias culturels, parce que ne rentrant dans aucune case, pas même la case "féministe". Non. Libertaire, poétesse à l'écoute des nuits fêlées, des nuits oniriques, chantre des prisons et des enfers intimes, elle ne divertissait pas. Elle fascinait, elle faisait trembler d'émotion ceux qui l'entendaient, cette voix rauque et vibrante de chanteuse de blues. J'ai gardé les vieilles cassettes qu'un ami m'avait procuré, je les jouais sur un autoradio poussif. Et puis les cassettes n'ont plus fonctionné. Annkrist est restée vivante au fond de ma mémoire. Et je la retrouve, tout entière, intacte. Ses textes n'ont rien perdu de leur charme bouleversant. Sa langue abrasive, dense, aux trouvailles étonnantes, presque surréalistes parfois, frappe l'âme au cœur, presque toujours, et l'on craque d'émotion aujourd'hui comme hier, on entend enfin quelqu'un, pas un produit préfabriqué de marketing, pas un zombie décervelé qui vous assomme d'ennui, non, une femme qui vous réveille, qui est là devant vous, de lumières et d'ombres, et avec elle "la lumière descend la ruelle", et à nouveau avec elle, nous descendons "la rue mauve"...

"La Rue mauve", quatrième titre du premier album d'Annkrist

J'te prenais par le bras et nous descendions la rue mauve
J'te prenais par le bras et nous descendions la rue mauve
Oh prends le poison qui t'es dû chien de cendre
chien de cendre
Prends le poison qui t'es dû chien de cendre d'homme vêtu
À l'intérieur de nos doigts nous rétractions nos ongles fauves

À l'intérieur de nos doigts nous rétractions nos ongles fauves

Oh entends-tu le soir qui chante la couleur de sa chanson
Oh entends-tu le soir qui désenchante et qui a raison
Il n'est pas plus près que nous à se battre pour toute chose
Il n'est pas plus près que nous à se battre pour toute cause
Car toute chose nous attaque et tout nous atteint
Toute cause nous encochonne et rien ne nous éteint
L'ombre épaisse des terrestres s'est gainée de nacre rose
L'ombre épaisse des terrestres s'est gainée de nacre rose
Et tu as peur que leurs coquilles corallines affûtées
Fendent la chair des bouches et tu me donnes des baisers
Juste à ce moment la bouche d'égout nous vire un œil torve
Juste à ce moment la bouche d'égout nous vire un œœil torve
Le miroir de sa plaque nous retourne une question
Y-a-t'il des êtres verts uniques et qui ont deux fronts ?
J'te parle de n'importe quoi pour te parler d'autre chose
J'te parle de n'importe quoi pour te parler d'autre chose
Mais c'est bien ma misère le monde est comme une prison
Où inventer l'amour sert de liberté sous caution
Pas de chance les chevaux des nuages ont pris la morve
Pas de chance les chevaux des nuages ont pris la morve
Les voici qui se traînent derrière nous éventrés
D'avoir eu trop de peine peut-être d'avoir trop pleurés
Nous ne nous guérirons oh qu'en nous faisant des cités closes
Nous ne nous guérirons oh qu'en nous faisant des cités closes
Allez reprends ta hargne ta peine et tes poisons
Les chevaux fumivores on ramène tout à la maison
Je te prends par le bras et nous remontons la rue mauve

   Si l'accompagnement a varié, de la guitare, la harpe, à des arrangements plus rocks, le piano tient une place assez rare. On le retrouve sur une des très grandes chansons d'Annkrist, "D'Orage et de cerises".

  

« Peut-être que la voix, c’est l’âme ? Je n’en sais rien – mais ce que je sais, c’est qu’il y a un charme dans la chanson, un sortilège unique.
C’est celui d’enchanter, justement.
Et aussi de sauver l’épopée de ceux que l’histoire, la grande, n’aurait jamais retenue. Voire qu’elle effacerait volontiers.»

   Parfois rapprochée de Barbara ou de Colette Magny, Annkrist est au firmament de la chanson française un astre majeur qui n'a peut-être pas dit son dernier mot. Comme elle le dit dans le texte Qui chante combat publié en 1979 aux Éditions Syros, « Si on laissait faire l'histoire sans écrire de chansons, on n'entendrait aucune voix humaine : juste un immense râle de troupeau. ». Astre disais-je, mais si proche de nous, si humaine, notre voix secrète... C'est une lyrique inspirée, fille du Spleen et de l'Azur blessé, dans sa longue robe de mots émouvants, de mots troublants et beaux comme le bonheur menacé et l'appel de la mer.

Paru en novembre (?) 2022 chez Cristal Iroise / Coffret de trois cds, 38 chansons / 3h environ

Pour aller plus loin :

- On peut l'écouter et l'acheter sur le site nouvellement créé consacré à Annkrist

- Si vous cherchez les textes, vous les trouverez tous, y compris les textes des chansons inédites, dans un livre paru aux éditions Goater en 2021.

Rédigé par Dionys

Publié dans #L'Autre Chanson française, #inactuelles

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