Nomi Epstein - Sounds
Publié le 7 Juillet 2023
Trois ans déjà...tant pis, car ce disque mérite de figurer dans ces colonnes. Pourquoi ? Parce que le pianiste Reinier van Houdt est présent en solo sur quatre titres (le disque en compte six). Je sais qu'il est là du côté des musiques essentielles. Et ce cd portrait de la compositrice américaine de Boston Nomi Epstein est passionnant d'un bout à l'autre !
"Till for solo piano"(2003) fait partie de ces pièces mystérieuses qui semblent les facettes mêmes d'un silence rayonnant. Ce sont de courtes phrases, interrogatives peut-être, insistantes, des phrases perdues dans les rets de leurs résonances, elles marchent doucement, fermement, dans des lacs de lumière, au seuil de quelque chose. Puis une note revient, tel un battement de cloche : nous sommes ailleurs...
"for Collect/Project"(2016/19), pour voix, flûte basse et électronique en direct, parcourt une série de couleurs, de formes, passant de l'une à l'autre avec une grande aisance, si bien que l'hétérogénéité de la pièce devient sa richesse.
Puis c'est le "Solo pour piano" (2007), vingt-cinq minutes en deux parties inégales, "Waves" pour un peu moins de huit minutes, et "Dyads" pour dix-sept minutes. Reinier van Houdt, comme d'habitude, est royal dans les vagues graves de l'instrument : une descente abyssale bruissante d'harmoniques bourdonnantes, floues. "Dyads" articule au contraire très nettement les notes, bien séparées, et c'est une montée lente, fragile dans sa pesanteur. On pourrait dire que c'est un essai de montée, car ne repart-on pas du même point ? Ce qui compte, c'est la réitération têtue, la volonté de décoller les semelles, contrariée par la lourdeur d'une charge, comme la marche d'un homme accablé sous le poids de sa Chimère dans le poème en prose Chacun sa chimère de Charles Baudelaire. Arriveront-ils jamais ? Il n'y a plus que cette marche, elle pourrait être infinie...
Nomi Epstein est elle-même au piano sur "Sounds for Jeff and Eliza" (2018), également pour clarinette basse (Jeff Kimmel) et flûte (Eliza Blangert), les sons discontinus du piano ponctuant, découpant les plages continues des deux autres instruments. Répétitions et superpositions construisent un univers sonore méditatif, une sorte de labyrinthe de souffles et de brèves déflagrations lumineuses. Dans la lignée de Morton Feldman, une pièce fascinante, superbe.
Reinier van Houdt interprète à nouveau la dernière pièce de ce portrait, "Layers for piano" (2015/18), en trois parties enchaînées. La première, mesurée, joue sur de longues notes soutenues. La seconde, non mesurée, détache davantage les notes, semble rebondir à chaque fois dans l'inconnu. Seule une oreille avertie, exercée, distinguera ces parties (où commence la troisième ?), tant le parcours est cohérent, semé de courtes grappes tout au long de cette belle errance.
Un disque magnifique de musique contemporaine contemplative.
Paru en juin 2020 chez New Focus Recordings / 6 plages / 1h et 17 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
/image%2F0572177%2F20170208%2Fob_fdd513_duane-pitre-bridges.jpeg)
/image%2F0572177%2F20230516%2Fob_c009fd_nomi-epstein-sounds.jpg)