Magnum Opus Collectio Series : Nigredo / Albedo / Rubedo
Publié le 20 Octobre 2023
Trois compilations ? Je suis peu amateur des fourre-tout. Mais s'agit-il de compilations ? D'un concept, si l'on veut. L'idée est de rassembler en trois volumes des compositions inspirées des trois phases du processus alchimique menant à la pierre philosophale ou à une transmutation spirituelle. Je vous sens méfiants. L'hermétisme pointe son museau, et l'on aura beau invoquer les mânes de Carl Gustav Jung, qui réinterprète le Gand Œuvre des Alchimistes pour l'adapter à sa vision du processus d'individuation, vous secouez la tête, dubitatifs. Rassurez-vous, je ne me lancerai dans aucun discours théorique de légitimation de ces musiques, qu'on peut écouter pour elles-mêmes. Comme dans tout rassemblement d'œuvres, on n'y trouve pas que de l'or, mais l'ensemble se tient, dégage une atmosphère de ferveur mystérieuse, de folie chaotique parfois, qui est loin d'être sans charme. Je regrette de ne pouvoir illustrer mes propos de mes titres préférés, introuvables un par un sur les plates-formes. Ce qui m'intéresse aussi, dans cette entreprise, ce sont les images qui les accompagnent : trois couvertures dues à l'artiste italienne Valentina Bartozzi, qui nous invite à voir autrement les corps, comme des écorchés médiévaux, des flux cosmiques nouvel-âge ou des fragments symboliques. Sans oublier les trois galeries de portraits des musiciens : des portraits intelligents, sensibles, et beaux.
Nigredo rassemble des pièces volontiers inquiétantes, suffocantes. C'est un univers de putréfaction, nocturne et saturnien. Beauté sombre, par exemple sur le magnifique "Sileam" (titre 7) de Yakovlev Dounis et Magnani ou encore l'abyssal "Zuzanaghee (Alchimized)" (titre 10) de Yajuj Majuj, titre dans la lignée de Dead Can Dance. Le cauchemardesque, et très réussi, "Smog_193211" de Klaas Hübner, termine en ultranoir ce premier volume commencé dans le brouillard fantomal de la pièce de Zen Lu, "Landscape in the Mist" [titré aussi "Landscape of Myths"], magistrale.
Albedo commence par une incantation avec le très beau titre vocal (pour l'essentiel) "Terra Nos Deus (Undogmatische Lösung)" de Bleedingblackwood. Parmi les autres pépites : le planant et bourdonnant "Isle of Winds" (titre 3) de Seiji Morimoto, qui se gonfle en multiples filaments radieux ; le hiératique et mystérieux "Setting 32" (titre 4) de Andrea de Witt, à base de motifs répétés. Je retrouve avec plaisir Zen Lu pour "Flying at Midnight" (titre 7), un bel envol ponctué de percussions. Ken Karter donne un "[AL-BE_DO][XXI-22]" (titre 8) syncopé, flamboyant, à la Autechre. Je m'aperçois en réécoutant de la qualité de ces regroupements, peu de morceaux vraiment faibles (je n'en citerai pas, fidèle à ma démarche fondée sur l'enthousiasme !) . Je vous laisse découvrir...
Plus inégal à mon sens, Rubedo nous offre toutefois des sommets de la trilogie. Avec "Stand on the Mountainside and Gaze afar the Dark Sea" (titre 4) Zen Lu, présent sur les trois disques, réussit une pièce méditative lumineuse, sublime. "Quartz" (titre 5), de Orquestrina Utu, est une pièce aux vocaux envoûtants mêlés à des synthétiseurs frémissants. Lukas Cane signe sans doute la composition la plus originale, "Together (feat. Tsuki)" (titre 6) : répétitions obsédantes et très rapides du mot titre sur fond d'ambiante sombre, grandiose, animée d'une pulsation profonde, avec un finale en forme d'apothéose trouble de toute beauté. La quintessence du rubedo, un véritable mariage alchimique ! Ken Karter nous embarque avec le titre 11, "RU_BE_DO_X-000-SYS", techno foisonnante, hallucinée
Une Collection très bien conçue, véritable traversée de divers courants des musiques d'aujourd'hui. Berlin est le pôle d'attraction d'une myriade de musiciens passionnants, venus d'un peu partout : Italie, Chine, Iran, Espagne, Grèce, Chypre, Mexique, Danemark, Suède, Malte, Pologne, et Allemagne bien sûr.
Trois disques publiés chez Undogmatisch (Berlin, Allemagne)
Nigredo est paru en août 2021 / 11 plages / 1 heure et 3 minutes environ
Albedo en avril 2022 / 12 plages / 1 heure et 11 minutes environ
Rubedo en mai 2023 / 13 plages / 1 heure et 31 minutes environ
Pour aller plus loin
- les trois disques sont en écoute et en vente sur bandcamp :