Simon Lanz & Tobias Lanz - Arches
Publié le 13 Février 2024
Les frères Simon et Tobias Lanz, dont c'est le premier album en commun, ont écrit et interprété Arches sur des prototypes d'instruments à vent construits par eux-mêmes, inspirés par l'orgue à tuyau classique. Ces nouveaux instruments leur ont permis d'élargir les possibilités de l'orgue en allant vers les musiques électroniques ou les musiques à bourdons, dites drones, deux champs musicaux qu'ils ont exploré dans leur carrière. Il en résulte une musique microtonale infiniment plus nuancée, eux-mêmes contraints d'inventer de nouvelles manières de jouer, d'explorer, d'inventer, en s'appuyant sur une partition graphique pour visualiser de manière satisfaisante les multiples nuances tonales des quatre pièces constituant Arches. L'illustrateur Ramon Keimig a réinterprété ces partitions pour l'album de manière à ce qu'en lisant de gauche à droite on puisse suivre l'évolution de ces paysages de drones. Album enregistré à Berne en mai 2022 pendant une résidence d'artiste.
La musique sort des tuyaux, souffle continu, petites sirènes. Courbures lentes, lignes droites des notes tenues...Notes ? La musique microtonale abolit de fait cette appellation, puisque, à l'échelle des notes séparées, s'est substitué un continuum de possibilités constitué de micro-intervalles, d'où l'impression pour l'oreille, non d'un changement de notes, mais de glissements. Le Continuum de György Ligeti, composé en 1968 pour clavecin, est sans doute l'un des premiers pas dans cette direction que le synthétiseur modulaire a pu balayer. Aussi la musique des frères Lanz est-elle cousine des compositions d'Éliane Radigue. Des drones très doux se succèdent, se creusent pour laisser passer comme des appels de flûtiau dans les montagnes alpines. Il y a en effet quelque chose de pastoral dans cette musique apaisée, flottante, qui laisse venir à elle des vagues venues d'ailleurs comme dans la seconde partie. Rien ne presse, on tend l'oreille, le concert d'appels et de réponses de la troisième partie crée une nouvelle polyphonie respiratoire, cette fois c'est comme le souvenir des meutes de loups et de leurs hurlements nocturnes, filtré par les siècles et la mémoire. La musique est devenue troublante incantation conjuratoire. Curieusement, je remarque que « Arches » est l'anagramme de « search ». Cette musique cherche, avance prudemment vers l'inconnu, la très lente montée des bourdons tremblés dans la quatrième partie derrière les cliquetis discrets des instruments. Un bourdon moins grave, plus élevé, domine la pulsation sourde des autres, stase sonore prolongée dont émerge peu à peu un mur radieux.
Un très beau disque, à écouter dans la continuité, sans être dérangé, toutes affaires cessantes, déconnecté...
Paru fin novembre chez Hallow Ground (Lucerne, Suisse) / 4 plages / 42 minutes environ
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