Sylvain Chauveau - ultra-minimal
Publié le 27 Février 2024
Enregistré au Café Oto à Londres en mars 2022, le nouveau disque de Sylvain Chauveau, vingt-quatre ans après Le livre noir du capitalisme reparu en même temps que celui-ci sur le même label berlinois sonic pieces, permet d'entendre l'un de ses rares concerts solo et le premier avec uniquement des instruments acoustiques : piano, guitare, harmonium et mélodica, joués séparément. Le disque comporte pièces nouvelles et versions en direct de compositions anciennes déjà sorties, mais réarrangées pour instrument solo.
ultra-minimal : un pléonasme ? Du minimalisme au carré ? Une esthétique du dépouillement radical, avec laquelle la couverture du disque, sobre et minimale comme toujours chez sonic pieces, consonne. Une esthétique qui s'oppose à un minimalisme prolixe, ennemi du silence, hanté par le plein. Ici le minimalisme tutoie le vide et le silence, se condense au lieu de s'allonger en longues pièces.
Peu de notes sur le premier titre (piano solo), engendré par deux notes répétées, variées et augmentées. Suffisantes pour créer une atmosphère recueillie, intime. Elles ouvrent une attente, s'épanouissent comme des fleurs en ouvrant leurs résonances, tandis qu'en arrière-plan s'entendent de très menus bruits mécaniques ou de frottements sur le siège. Le second titre, à la guitare, plus rythmé, plus rapide, est nettement plus répétitif, avec de longues boucles, ce qui donne une superbe pièce hypnotique, limpide, pour courir jusqu'au bord du vertige, l'air de rien... La courte troisième pièce, au piano, pousse la répétition plus loin en alternant deux motifs tintinnabulants en miroir. La quatrième décante encore, réduite pour l'essentiel à un balancement entre deux notes, répétées ou variées. Et c'est d'une beauté incroyable !
"i" (piste 5) laisse pantois, harmonium aux notes tenues, vibrantes, comme hachurées par le halètement rythmique d'un cœur affolé, avec sa coda aux vagues oscillantes. Retour au piano en 6, un piano en échappée libre, capricieuse, un piano mystérieux guetté par l'ombre, le silence, à l'écoute à la fin d'une note obstinément répétée. "med", pour guitare, semble se contenter d'accords hésitants. Elle cherche sa voix, puis s'y engouffre, s'arrête, reprend, tissage inlassable d'une boucle qui s'éclaire de l'intérieur. Que voudriez-vous entendre de plus que cet encerclement, ce piège lumineux pour envoûtement progressif ?
Titre le plus court avec un peu plus d'une minute, "u" forme diptyque (au piano) avec le suivant, "l" (titre 9), à peine plus long : quintessence de l'art de Sylvain Chauveau, ces deux miniatures sont comme des interrogations obstinées, ou des protestations d'innocence, une dentelle pour dessiner l'absence.
Deux titres longs terminent l'album. "Deu", comme une bal(l)ade pour guitare, trouée d'abord, puis bien calée sur une pulsation assez douce qui s'effiloche de timidité ou de respect avant de pousser plus loin et de trouver des accents nouveaux dans une belle ascension mélodique. L'harmonium ondule doucement sur "116", le dernier titre, très élégiaque, presque funèbre, respiration magnifique des tréfonds, puis il laisse la place au mélodica deux minutes environ avant la fin, pour prolonger la plainte en lui ôtant une partie de ses draperies résonantes, la ramener vers l'humilité, la simplicité de l'émotion nue .
L'ultra-minimalisme est un art de l'épure, de l'ascèse, comme une gifle cinglante à toutes les artilleries lourdes des machines, logiciels. Sylvain Chauveau nous touche et nous ravit en nous ramenant à l'essentiel, ce si peu qui vient de l'âme, du souffle des instruments acoustiques, joués avec une extrême attention.
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« L'attention absolument sans mélange est prière. »
Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce (Plon, 1947)
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Paru début février chez sonic pieces (Berlin, Allemagne) / 11 plages / 44 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
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