Samuel Reinhard - For Piano and Shō
Publié le 30 Mai 2024
Samuel Reinhard (né en 1980) est un compositeur suisse de musique électroacoustique installé à New-York. Profondément transformé par une résidence selon lui manquée dans le désert Mojave (Californie), il compose une musique inspirée par un minimalisme décanté et des principes aléatoires, fondée sur des répétitions et des durées prolongées. En juillet 2022, il a sorti un disque superbe, intitulé tout simplement Répétitions, édité conjointement par Hallow Ground (label suisse que l'on retrouve régulièrement dans ces colonnes) et Präsens Editionen (autre label suisse de Lucerne), disque qui rassemble quatre pièces de longueur similaire formant un cycle pour trois pianos. Le nouveau disque édité par elsewhere music continue et approfondit sa recherche d'une musique visant à rapprocher les interprètes et les auditeurs dans une écoute profonde de la lenteur, des infimes fluctuations au fil des répétitions et des silences.
Dès le départ, j'aimais beaucoup l'idée d'associer le piano et le shō, orgue à bouche avec dix-sept tubes de bambou de la musique traditionnelle japonaise Gagaku (musique de cour raffinée) : le frapper du piano, son côté percussif, et le souffle, la respiration. Mais le shō est à sa manière un petit clavier, et le piano, en faisant résonner les notes longuement, se rapproche de ce petit orgue : pour les deux instruments, l'harmonique prime alors sur le mélodique. Le disque réunit le pianiste canadien Paul Jacob Fossum et la japonaise Haruna Higashida, joueuse de shō dans le style Gagaku très impliquée dans la musique contemporaine.
Deux pièces de durée voisine constituent l'album. Dans la première, enregistrée en session multipiste, trois pianos et trois shōs se succèdent, se répondent. Quelques notes égrenées, répétées, forment l'armature de la composition. Elles résonnent longuement. Peu à peu se crée comme un escalier intérieur, un colimaçon réfracté sur plusieurs niveaux, aéré de silences. La mélodie restreinte fournit des pas, des marches harmoniques. On est enveloppé par un lent enchevêtrement, les notes des shōs formant comme des traînes scintillantes aux harmoniques des pianos. Les répétitions se dissolvent dans cette matière mouvante, ce flottement presque immobile des harmoniques. Tout n'est plus qu'infinie douceur, sérénité immense. L'auditeur s'abandonne à une temporalité étirée, véhicule d'une ineffable beauté. Samuel Reinhard est l'architecte minutieux du Ravissement.
La seconde pièce est pour un seul piano et un seul shō. Samuel Reinhard la présente ainsi : « Dans la deuxième pièce, un piano se déplace à travers un trio de figures – un arpège, une improvisation, un accord – pendant toute la durée de l'interprétation. Chaque itération de cette séquence est accompagnée d'un seul shō, qui sélectionne et joue librement une note ou un accord, émergeant de la première figure du piano et disparaissant dans la troisième. Tout au long, les joueurs maintiennent les notes par le toucher ou la respiration jusqu'à ce que le son disparaisse. » Le piano se trouve tantôt seul, tantôt accompagné par le shō dont les harmoniques doublent les siennes. On dirait que le piano appelle le shō, qu'il le fait surgir pour l'épouser, l'écouter, se fondre avec lui dans le silence. Chaque séquence est en effet comme une étreinte aérienne, renouvelée et approfondie, de plus en plus gorgée de temps, de plus en plus informée par le silence. Elle nous emmène toujours plus dans un hors-temps qui esquisse peut-être le profil aveugle de l'Éternité.
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Un disque miraculeux. Le mariage mystique de l'Occident et de l'Orient aux Portes secrètes du Silence.
Paru début mai 2024 chez elsewhere music (Jersey City, New Jersey / États-Unis) / 2 plages / 41 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :