Patrick Giguère - Intimes Exubérances (Cheryl Duvall, piano)

Publié le 22 Août 2024

Patrick Giguère - Intimes Exubérances (Cheryl Duvall, piano)

Brève(relativement...)estivale 9... pour un disque de pur piano solo. Une succession ininterrompue de dix-neuf mouvements découpés en quatre plages d'une durée comprise entre dix et dix-huit minutes.

   Le piano est l'instrument principal du compositeur montréalais Patrick Giguère. Intimes exubérances  est sa première œuvre d'envergure pour piano, écrite après avoir évité l'instrument pendant presque quinze ans, confie-t-il. Comme il laisse une place importante à l'improvisation et à la collaboration dans son processus créatif, la pianiste de Toronto Cheryl Duvall, y a imprimé sa marque. Rappelons que celle-ci est également la co-fondatrice de l'ensemble de musique de chambre Thin Edge New Music Collective, présent sur le disque Dark Flower de la compositrice canadienne Linda Catlin Smith sorti en novembre 2023 chez la même maison de disque.

Le compositeur Patrick Giguère par Marianne Larochelle

Le compositeur Patrick Giguère par Marianne Larochelle

La pianiste Cheryl Duvall par Marianne Larochelle

La pianiste Cheryl Duvall par Marianne Larochelle

   Le titre Intimes exubérances semble un oxymore, rapprochement de deux termes en apparence contradictoires. L'écoute de l'œuvre invite à comprendre cet attelage comme une fusion, la combinaison infiniment variée de deux mouvements, l'un vers l'intériorité, l'autre vers l'extériorité, le premier dominant le second. « exubérance » ne connote ici jamais l'excès, mais une vitalité, une vigueur de style, une richesse de formes (voir le mot sur le site du Centre National de Ressource Textuelles et Lexicales), commandé et régulé par l'intime. Les beaux sous-titres des quatre parties vont dans ce sens : primat de l'émotion, de l'expression du plus profond de la vie psychique.

   " À la frontière de l'intangible" commence dans une douceur ouatée de résonances par la pédale de soutien. Sur un tapis calme éclosent de vives fleurs, se lèvent de fraîches émanations. Admirable début méditatif, délicatement extatique. On oublie tout, on se laisse porter. Lorsque l'exubérance soulève plus fortement le flux, elle ne le détruit pas, elle en est le fruit intérieur porté au jour, sa puissance vitale explosant en matière orchestrale, en couleurs débordantes, se chevauchant, se bousculant dans une joie intense. Puis tout se cabre, se calme peu à peu, comme si on domptait un cheval rétif. Retour au mystère sous-jacent, que les derniers soubresauts ne mettent que mieux en valeur...

     Il faut "Tisser le présent" par l'élan d'une voix dans la lumière première. Patiemment, obstinément, c'est l'exubérance vitale, bientôt une exultation qu'on sent venir de très loin, du fond d'une confiance que rien ne saurait ébranler. La pièce prend une allure répétitive, en longues boucles de grappes de notes escaladant le ciel, et quand elle s'apaise, elle creuse à nouveau le mystère, quasi carillonnante, avant de s'enfler à nouveau, dans une rage toujours au bord de l'illumination, au bord d'une indicible douceur. La musique avance ainsi dans ce tumulte de courants opposés, c'est sa grande beauté, sauvage, martelante, et timide, titubante, en lambeaux sur le fil du silence.

   Triomphe du "Corps, hors du temps" : musique puissante, jaillissante, en reliefs marqués, du jazz resserré, s'étourdissant de ses cabrioles. Sans doute le passage où la dimension improvisée s'entend le mieux. "hors du temps" parce que l'ivresse du jeu prime, que le piano étincelle, et que cela seul compte, avant le retour de la mesure en fin de partie.

   "Lueurs en voix" associe d'abord une voix grave, lente, et une voix aiguë, en trilles liquides, avant qu'une voix médiane n'impulse la pièce. Les voix alors s'enlacent étroitement avant de se séparer à nouveau. Un léger balancement anime l'ensemble, cette fois voix grave, recueillie, et voix médiane fougueuse.

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Un grand disque de piano, intense, coloré, expressif et profond. La liturgie de la Vie, grave et bouillonnante.

Paru en avril 2024 chez Redshift (Vancouver, Colombie-Britannique / Canada) / 4 plages / 57 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

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