Douwe Eisenga - For Mattia / The Complete Recordings
Publié le 16 Octobre 2024
[À propos du disque et du compositeur]
Depuis la courte pièce dédiée à la mémoire de Julia Mattia Muilwjik (13 septembre 1989 - 1er octobre 2015), composée à la demande de Katja Bosch et Janpeter Muilwijik et jouée pour la première fois le 10 septembre 2017 (voir article) en la cathédrale d'Utrecht, le compositeur néerlandais Douwe Eisenga n'a cessé de tourner autour d'elle, sortant un premier album de neuf pièces sous le titre For Mattia au printemps 2019. Aujourd'hui, depuis septembre, les enregistrements complets, en deux cds, comptent vingt titres, y compris deux nouvelles versions et un remix. Pour les détails concernant Julia et sa famille, les circonstances de la composition, je renvoie au livret d'accompagnement du disque..
[L'impression des oreilles]
La musique de Douwe Eisenga dans cette ode à Mattia et ses extensions part d'une série continue de croches, qui renvoie aussi bien à la musique baroque, au rock, qu'au minimalisme, nous dit le compositeur. Seulement les motifs sont entrelacés d'une main à l'autre, accompagnés de structures en miroir, inlassablement variés, émaillés de boucles. L'émotion naît de la simplicité, de la pureté de la mélodie au piano. Elle naît aussi de son perpétuel retour. C'est une ritournelle qui vous emporte, elle s'enroule autour de vous pour ne plus vous quitter, telle une écharpe infinie d'harmoniques. Sa grâce lumineuse vous étreint. La douceur déchirante et bondissante de "Summit" (titre 2 / cd 1), qui pourrait y résister ? Mattia revit, elle est là, elle vous regarde en dansant : τα μάτια (ta matia), en grec, ce sont les yeux, ceux de la pochette.
En face, il y a un autre danseur, celui de "The Opposite", poli et courtois, qui s'incline souvent devant elle. De titre en titre, une histoire surgit, d'un autre âge, intemporelle, que j'invente à mesure. C'est ce "Gentleman"(titre 4) qui virevolte pour la séduire : quel beau titre vif, étincelant, soudain grave comme une déclaration entre deux entrechats, deux glissements sur le parquet luisant de la grande salle. Puis il y a "Julia", (titre 5), le second prénom de Mattia, comme une jumelle peut-être, timide et retenue, elle fait de belles figures avec son ample robe, elle relève la tête et dans ses yeux resplendit un charme indéfinissable. Le temps ne passe plus, il sonne l'éternité, c'est "Pendulum Waves" (titre 6), le motif de Mattia oscille sans fin, plus dramatique, hypnotique : il n'est plus question d'en sortir....Voici le tonnelier, "The Cooper", mais vous êtes déjà ivre, que le vin scelle le mariage, car c'est une cérémonie, n'est-ce pas ? Nous sommes dans un film de Peter Greenaway, dans un jardin aux sentiers qui ne bifurquent pas, mais vous ramènent inlassablement au centre du miroir. Puis une autre force vous emporte, "Carried Away" (titre 8) balaie tout, piano plus orchestral, tournoyant jusqu'au vertige en ellipses splendides et fastueuses... pour vous mener au bord de la mort. "On the edge" a des accents à la Arvo Pärt dans son dépouillement, sa gravité bouleversante, distillant des gouttes de lumière d'un autre monde.
Le second disque apporte de nouvelles pièces tout aussi réussies. "Corn", "Beguine" et les titres suivants sont des variations émouvantes du titre matriciel "For Mattia". L'ode à Mattia s'élargit à la célébration de toutes les disparues en prenant ses racines dans un important recueil de 996 brèves mélodies populaires du XVIIIe siècle, The Old and New Dutch Farmer Songs and Contra Dances, dans lequel Douwe Eisenga puise son inspiration depuis une dizaine d'années et auquel il a pris certains titres comme les deux premiers mentionnés plus hauts, mais aussi "Gentleman" ou "The Cooper". Le titre 10, un remix de "Julia" par Pim van de Werken, inclut des sons électroniques nimbant la pièce d'une aura irréelle.
Au total, après Piano Files I & II (2011 / 2016), ou Simon Songs (2015), "For Mattia" forme un nouveau cycle majeur pour piano, qui s'inscrit dans le parcours de ce compositeur resté fidèle à un minimalisme enrichi d'influences populaires baroques.
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Un double album bouleversant, la danse sans fin de la Vie au bord de la Mort.
Paru en septembre 2024, digipack double CD + livret de 16 pages, disponible sur le site du compositeur / 20 plages / 1 heure et 27 minutes environ