Elio Martusciello - AKOUSMA-MOTHER
Publié le 30 Novembre 2024
[À propos du disque et du compositeur]
Investi dans le domaine des musiques expérimentales et électroacoustiques, le compositeur napolitain Elio Martusciello sort avec AKOUSMA-MOTHER un disque personnel tiré de sessions d'improvisation du trio OSSATURA, fondé à Rome en 1995. Le trio comprend Luca Venitucci au piano, au piano électrique et à l'électronique, Fabrizion Spera à la batterie et aux percussions, et lui-même à la guitare électrique, à l'ordinateur et à la voix. Le disque, hommage à sa mère décédée récemment, se fonderait sur l'expérience acousmatique de l'être humain avant sa naissance.
[L'impression des oreilles]
Le collage d'Elio Martusciello en couverture (il signe aussi les autres collages) est à l'image de cet opus improbable, véritable kaléidoscope qui traverse de nombreux genres musicaux. Ce disque revient de loin. Je n'ai toujours pas accroché au premier titre, "luminescenza", troué d'enregistrements de terrain, décidément à mon sens informe. Le piano au début de "un globo impercettibile" annonce tout à fait autre chose : une matière impondérable, délicate, celle d'une rêverie. Ce n'est pas tout à fait du jazz, quoique, la percussion anime cette trame qui prend, se met à chanter. À partir de là, le disque impose son charme certain, avec une coda quasi sublime, brève. massacrée par la batterie et des bruits de scène. Je me suis dit que ces musiciens-là n'étaient pas à l'aise avec la beauté, comme une sorte de pudeur, d'où le troisième titre un peu rock, du gros son, un fouillis sonore sur lequel se découpent de belles idées folles, une montée façon métal, et le calme de la fin.
Il faut s'habituer à ce style à l'arrache, leur passer cet interlude, le titre 4, "dissomigliando" (différent), peut-être parodie de musique industrielle, musique concrète peu exaltante...Heureusement, "sottrazione immateriale" (soustraction immatérielle - les titres sont parfois très beaux !) est un bijou miraculeux, alors on pardonne tout. C'est de l'ambiante aux fines textures voilées, piano sur les pointes et traîne micro percussive, crachotements.
Ce que j'aime dans ce disque, c'est la surprise permanente : soudain, une chanson, "etèrico", un texte et des voix, sur un accompagnement jazzy très léger, et c'est la grâce, la guitare électrique diaphane avant une coda percussive aérée. Le titre sept, "disfa le forme" (défais les formes) nous donne sans doute la clé de leur art poétique : défaire les formes, en leur injectant des matériaux hétérogènes et en jouant entre. D'où une musique de lutins espiègles, une musique qui ne veut pas se prendre au sérieux en prenant forme, en se figeant. Une musique de contorsionnistes qui s'envolent sans s'en rendre compte, car c'est un beau morceau au bord de la dislocation, puis de l'explosion sur la fin. Bien sûr, l'intermède suivant s'acharne dans une vulcanologie douteuse, dans l'attente de "priva di impronte laterali"(titre 9, sans empreintes latérales), frémissant et doucement enflammé, structuré autour de quelques courtes boucles de piano électrique : du très beau travail ! Je passe sur l'intermezzo critique, où un musicien interpelle Elio pour lui dire que c'est beau, mais un peu trop raffiné, ce qui rejoint ce que j'écrivais plus haut et dit quelque chose sur notre monde apeuré par la beauté...Ne lui préfère-t-il pas, ce monde, les rumeurs ou bruits de catastrophes ("rumori di catastrofi", titre 11) ? C'est une machine grondante, bien huilée, charpentée, qui fonce...vers le désastre ? Le dernier titre, "dileguando" (disparaître) est à ciel ouvert, déchiré de stries, de frottements, glissements métalliques, dont surgit le piano embrumé, et c'est si beau, à nouveau, d'une élégance élégiaque, d'une fragilité bouleversante...
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Un disque déroutant, inégal, mais vivant, avec de très beaux moments.
Paru en septembre 2024 chez em-music (Naples, Italie) / 12 plages / 53 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :