Giuliano d'Angiolini - )))(((
Publié le 18 Décembre 2024
[À propos du disque et du compositeur]
Né en 1960, le compositeur et ethnomusicologue italien Giuliano d'Angiolini, installé à Paris, a déjà à son actif trois albums, publiés chez Edition RZ et Another Timbre (qui a enregistré notamment Melaine Dalibert) . Son nouveau disque )))((( contient trois nouvelles œuvres. La première, éponyme, de 2023, est, dans la version proposée ici, pour quatre flûtes et six clarinettes. "7 flauti" est une pièce plus ancienne (2010), pour sept flûtes...comme son titre l'indique. La dernière, "100100", date de 2023, fait intervenir 36 flûtes. Ajoutons que les deux dernières suivent des procédures strictes d'indétermination : elles sont donc différentes à chaque nouvelle interprétation. Le compositeur présente ainsi sa musique : « Je m’intéressais particulièrement à la rugosité des sons, aux battements acoustiques et aux tonalités combinatoires (résultantes). Ces tonalités n’existent pas physiquement, elles sont produites par le cerveau : nous les entendons dans notre tête. J’aime la sensation qu’elles produisent en nous, comme si nous étions nous-mêmes une source sonore ; ce qui nous fait perdre notre distance par rapport au son et un peu de notre propre intégrité. » Les interprètes sont le flûtiste sicilien Manuel Zurria, collaborateur notamment d'Alvin Lucier, et interprète de tous les grands compositeurs italiens contemporains, et, pour la clarinette, le multi instrumentiste Paolo Ravaglia, dont le répertoire de clarinette s'étend des clarinettes anciennes et chalumeaux au folklore, à la musique afro-américaine et à l'avant-garde.
[L'impression des oreilles]
La musique des commencements perpétuels
Commodément calé au fond du canapé, les oreilles vides de musique depuis quelques jours, je suis prêt pour l'écoute, ou plutôt la réécoute, la troisième. Il faut faire le vide pour cette musique, je l'ai senti d'emblée. Être vierge pour entendre ce que tente Giuliano d'Angiolini.
Quatre flûtes, six clarinettes...Comme des trompes dans la montagne, des appels de berger à berger. Le mugissement d'un troupeau fantôme au milieu des silences. Comme un orgue fantastique. Des souvenirs enfouis de la musique de Giacinto Scelsi me remontent aux oreilles ! Les instruments frémissent, les sons se courbent, forment un tuilage fragile. Ils interrogent le silence, à la racine du souffle. Ce sont des éclosions, parfois comme des déchirures rapides, suivies de longs glissendos de minuscules billes sonores. Des émanations du silence, des sculptures du silence. Des séquences comme des prières, des adorations. On croit aussi entendre fugitivement les shakuhachis de la musique japonaise. On a oublié le temps...
Liturgie de l'infinie douceur
"7 flauti" commence en canon flottant : éventail des flûtes, camaïeux de douceurs veloutées. Derrière le souffle, la fine trame pétillante de la trace sonore. La musique de Giuliano d'Angiolini reste au plus près de l'immatériel, de l'impondérable. Elle saisit l'informe, non pour le solidifier, le structurer, mais pour le caresser, le peigner comme une chevelure soyeuse que l'on soulève lentement, respectueusement. C'est une musique appliquée au pinceau par un peintre-calligraphe. Aussi est-elle dans son dépouillement d'une spiritualité quintessenciée, tout en étant d'une sensualité, d'une suavité extraordinaire. Chaque surgissement est servi comme un miracle, à tel point que les flûtes sonnent presque comme des orgues sur la fin, dans des chatoiements à la Ligeti...
La dernière composition, "100100" est la plus brève (9'08) , le disque s'organisant de la plus longue (plus de vingt-trois minutes) à la plus courte, comme s'il se condensait en augmentant le nombre de couches sonores, puisque cette fois pas moins de trente-six flûtes sont convoquées ! C'est un orchestre onduleux, déraillant, des circulations aléatoires d'atomes musicaux, circulations saisies dans leur foisonnement micro frétillant. Puis des levées successives au seuil de l'Harmonie, esquisses mélodiques diaphanisées, bouquets en expansion vibratoire comme autant d'univers...
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Giuliano d'Angiolini est le berger des levées harmoniques, le sculpteur de la Splendeur immaculée, immémoriale. Ce disque nous sort du Temps pour nous rendre à l'Éternelle Beauté.
nParu début décembre 2024 chez elsewhere music (Jersey City, New Jersey) / 3 plages / 50 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :