Aaron Landsman / Norman Westberg - Night keeper
Publié le 11 Février 2025
L'album est le fruit de la rencontre entre l'artiste new-yorkais Aaron Landsman, auteur de la pièce Night Keeper, et de Norman Wesberg, ancien guitariste des Swans, qui en signe la musique. Ajoutons que la contribution de Jehan O. Young, l'interprète du texte dit tout au long, est magistrale : la diction impeccable épouse toutes les nuances du texte, impose sa musique propre, comment ne pas songer d'ailleurs à Laurie Anderson, c'est dire... La pièce originale a été jouée pour la première fois au printemps 2023 au Chocolate Factory Theater dans le Queens (New-York) et a rempli l'espace industriel austère de textes parlés, de chorégraphies, de projections et de musique dans une lumière tamisée et, parfois, dans l'obscurité totale. L’étincelle initiale de Night Keeper a été une série de nuits presque sans sommeil dans différents quartiers d’une ville perpétuellement insomniaque. Au lieu d’essayer de se forcer à se rendormir par tous les moyens nécessaires, Landsman a commencé à écrire ses pensées. Night Keeper (Gardien de nuit) est donc un album inspiré par l'insomnie et les errances de l'esprit humain la nuit.
Il ne sera bien sûr pas ici question du spectacle, seulement du disque qui en résulte. Les locuteurs francophones seront peut-être gênés par le texte anglais (début ci-dessus), quoiqu'il soit assez aisé à suivre en raison de l'excellente diction de Jehan O. Young. Même si on laisse de côté le sens, on est pris par l'atmosphère du disque. Norman Westberg a composé une bande sonore nocturne, à base de bourdons et de boucles de guitare, qui accompagne merveilleusement le texte dit. Sans cesse, la musique donne au texte son aura onirique, sa dimension dérivante. C'est le grand charme du disque, cette narration illuminée par une musique intelligente et sensible, d'une rêveuse douceur. Comment ne pas se laisser envahir, ne pas partir au cœur de la nuit parmi les fantômes, rejoindre les lucioles au milieu des cartes illusoires ? La musique dessine une carte des nuits sans sommeil, la musique bat comme la vie multiforme, éparse là à portée des heures les plus profondes. Le gardien de nuit n'est-il pas un « défibrillateur du sommeil », « gardien de l'insomnie et de la peur » qui « mémorise chaque craquement du lit et des marches du rez-de-chaussée aux étages » ? Norman Westberg laisse respirer les mots, les enveloppe de lignes courbes, les souligne de traits sourds ou lumineux. Soudain sa guitare sonne un semi-réveil, vite changé en tracés s'enfonçant dans la nuit, ou bien elle ponctue de coups brefs la diction des mots, comme une scansion du mystère, de ce temps dilaté livré aux songes, aux observations sur la solitude ou le partage. Un orgue prend parfois le relais pour accentuer le climat d'irréalité de ce texte-poème qui a quelque chose des dérives des grands poèmes nocturnes de Robert Desnos.
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Pas grand chose à vous faire entendre, hélas... Je vous laisse découvrir un extrait de la deuxième partie du texte.
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Un disque captivant grâce à l'accord intime entre la voix si expressive et la musique toujours aux portes de l'étrange, minimale ou somptueusement mélodieuse.
Paru en novembre 2024 chez Hallow Ground (Lucerne, Suisse) / 2 plages / 44 minutes environ
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