Mystery Sonata - Aequora

Publié le 10 Mars 2025

Mystery Sonata - Aequora

   Mystery Sonata est le nom pris par le duo composé de la pianiste serbo-américaine Mina Gajić et du violoniste américain Zachary Carrettin. Le nom de leur collaboration musicale est probablement un hommage au compositeur austro-tchèque Heinrich Ignaz Franz Biber ( 1644 - 1704) et à ses fameuses Sonates du rosaire, dites aussi Sonates du Mystère. Les deux instrumentistes ont chacun leur brillant parcours, mais il ont déjà enregistré ensemble, notamment les Sonatines de Franz Schubert sur instruments historiques sur le même label Sono Luminus. Après Bach Uncaged sorti en avril 2024, Bach et John Cage côte à côte, pour violon électrique et piano préparé, leur nouveau disque, le premier sous le nom Mystery Sonata, se tourne cette fois vers la musique contemporaine islandaise avec quatre compositeurs nés à la fin des années soixante-dix, deux femmes et deux hommes. Les deux musiciens se sont rendus en Islande pour découvrir des paysages et rencontrer plusieurs compositeurs importants, qui ont parfois modifié leurs pièces pour les adapter au duo.

   C'est le cas de la première pièce éponyme "Aequora", à l'origine pour piano à queue et électronique. La compositrice María Huld Markan Sigfúsdóttir a jouté la partie pour piano. L'électronique tisse une atmosphère mystérieuse sur laquelle piano et violon évoluent en gestes lents. Le piano, en partie préparé, soutient calmement le violon frémissant, comme si, sur une mer calme, égale, volait en mouvements ralentis un oiseau ivre de lumière. Une composition magique, au bord d'une douceur ineffable...

    Les titres six et sept qui terminent l'album sont de la même compositrice. Re/fractions I et II sont nés d'une commande du Boulder Bach Festival (Boulder, Colorado), dont le directeur musical est Zachary Carrettin, et du duo. Sigfúsdóttir précise : « La terminologie du mot réfraction est : la courbure de la lumière lorsqu’elle passe d’une substance transparente à une autre. Cette courbure de la lumière par réfraction nous permet d’avoir des lentilles, des loupes, des prismes et des arcs-en-ciel. La pièce est vaguement divisée en deux parties, les fractions 1 et 2, mais constitue en même temps un arc musical complet. » La pièce est contemplative, refuse  « d'ajouter du bruit à un monde déjà bruyant » comme le souligne Maria. On se laisse porter par et sur le chant pur du violon, on écoute la respiration des deux instruments, leur avancée. Leurs illuminations dans la seconde partie nous transportent avant de nous laisser sur le rivage délicatement ourlé du Silence.

   "First Escape" pour violon solo, le titre 2, est une pièce assez virtuose de Daníel Bjarnason, qui s'élance à plusieurs reprises comme si elle voulait s'échapper, comme semble l'indiquer son titre, et retombe brièvement dans un état mélancolique entre chaque tentative.

   La composition suivante, en deux parties, prend une résonance particulière pour nous français, puisque "Notre Dame" a été composée en 2021 suite à l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2019, choc profond pour tout l'Occident. D'abord écrite pour harpe et violon, elle a été remaniée par son compositeur Páll Ragnar Pálsson pour le duo, la partie de harpe revue pour le piano. Le compositeur ajoute à son sujet : « La majorité de mes œuvres sont basées sur les gammes harmoniques des instruments que j'utilise. Combinées, elles créent un ensemble de notes qui a été mon domaine d'origine dans tout ce que j'ai composé au cours des dernières années. Pour moi, il y a quelque chose de divin, comme une certaine connexion à la toute-puissance, à travers les harmoniques. » La première partie, "La tour Nord", est grave, pensive, déchirée, repliée sur une douleur secrète qu'elle cherche à transcender. "La tour Sud" est plus discrète encore, s'arrachant au silence, elle pleure et souffre dignement, agitée par une très courte bouffée de révolte qu'elle dépasse en continuant de chanter malgré tout avec une suavité, une grâce bouleversantes.

   Reminiscence (piste 5) d'Anna Thorvaldsdóttir, pour piano solo, explore le monde des résonances intérieures du piano. L'instrument sonne comme un clavecin au début ; on plonge au plus près de ses cordes, de leurs grondements incroyables. Mais la pièce est empreinte d'un hiératisme magnifique qui donne aux en-allées soudaines du piano une dimension irréelle, magique, folle. Un chef d'œuvre !

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Quel beau disque, intense et sobre, à l'image de la grandeur silencieuse des paysages islandais !

Paru fin février 2025 chez Sono Luminus (Boyce, Virginie) / 7 plages / 42 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

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