Puce Moment - Sans Soleil
Publié le 17 Mars 2025
Après notamment Epic Ellipses (mars 2023), le duo Puce Moment, formé par Pénélope Michel, violoncelliste de formation classique, chanteuse et multi-instrumentiste, et l'artiste sonore et plasticien Nicolas Devos, sort un nouvel album vraiment singulier, lié à leur voyage en février 2020 à Tenri, une banlieue de Nara, l'ancienne capitale du Japon. Là, ils ont rencontré la Société de Musique Gagaku, un ensemble qui perpétue les traditions musicales du Gagaku (littéralement Musique élégante), cette musique d'origine chinoise et coréenne jouée à la cour impériale, dont les principales caractéristiques ont été fixées vers le Xe siècle.
Les enregistrements forment la base de la création musicale et scénique du spectacle Sans soleil, réalisé en collaboration avec la danseuse et chorégraphe Vania Vanneau. Le titre est un hommage au film de Chris Marker sorti en 1983. Le disque, qui s'inscrit aussi dans la lignée des ciné-concerts organisés par le duo, est la rencontre étonnante entre leurs synthétiseurs analogiques et modulaires, leur thérémine, leurs voix, et les instruments traditionnels du Gagaku : shô (orgue à bouche), ryûteki (flûte traversière en bambou), hichiriki (court hautbois en bambou), biwa (luth à manche court), sô (harpe à treize cordes), taiko (tambour), skôko (petit gong en bronze frappé avec deux baguettes en corne), kakko (petit tambour). Pour en savoir plus sur les instruments et la musique Gagaku, vous pouvez consulter ce site très bien fait.
Le premier titre, "Kangen", s'ouvre sur un bourdon tenu de synthétiseur, soudain comme fracassé par les percussions de l'orchestre gagaku. Le choc est magnifique. Quand les flûtes s'en mêlent, le titre s'envole, et la rythmique sourde du duo accompagne les découpes du gagaku. Une entrée en matière impressionnante et splendide ! Sur "Batu", le titre 2, flûte mystérieuse et synthétiseurs dessinent une constellation mouvante peuplée d'appels, creusée de surgissements rayonnants. Les instruments du gagaku sont traités comme les synthétiseurs, modulés et transmutés, fondus dans une pâte grandiose en fermentation dans un beau crescendo, qui se résorbe en accents de flûtes presque pastoraux. "Haishiri Mai" porte la rencontre à une dimension d'osmose encore supérieure. Les synthétiseurs se déchaînent, orgues de cristal et bouillonnements, le hautbois hante les lointains de ses plaintes sublimes zébrées de rayures synthétiques et le tambour profond précède la rythmique électronique. La pièce prend l'allure d'une marche rituelle, sacrificielle, et dans le brouillard électronique qui l'accompagne on croit entendre des voix, toute une volière éthérée.
Le quatrième titre, "Shô", paraît plus délibérément grandiose, décollant très vite d'un début méditatif pour devenir cathédralesque (j'assume le néologisme) à souhait, agité d'apparitions sonores, de chiffonnements troubles, de voix. C'est un chaos formidable, l'accouchement farouche d'une fulgurante beauté, terminé par une pluie exténuée. Le découpage implacable des percussions gagaku ouvre "Bugaku" (nom d'une danse traditionnelle japonaise), pièce incantatoire qui fait la part belle aux musiciens japonais tout en montrant l'inventivité du duo : celui-ci greffe sur leur musique à l'élégance raffinée un magma prodigieux hanté par la voix enchâssée de Pénélope Michel. Une danse sans soleil, une danse noire de transe ! Le dernier titre est un épilogue rythmé par le tambour taiko qui lui donne son nom : des sons d'ambiance japonaise sont peu à peu recouverts par un brouillage électronique progressant crescendo avec le tambour, véritable passage au pilon d'une force inexorable...
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Une osmose saisissante et magistrale entre musique traditionnelle japonaise et musique expérimentale électronique.
Paraît le 21 mars 2025 chez Parenthèses Records (Bruxelles, Belgique) / 6 plages / 46 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :