Asher - Untitled Fictions I
Publié le 20 Mai 2025
Installé à Providence (Rhode-Island, États-Unis), Asher Tuil travaille depuis plus de vingt ans à partir de son enregistré : enregistrements de lieux, synthèse électronique, sons trouvés, et autres sources encore. Ce nouvel opus s'inscrit dans une série de tentatives considérant la narration comme procédé compositionnel et l'enregistrement comme fiction, paysage imaginaire. Les huit fictions de l'album (entre huit minutes et plus de dix-sept pour la septième), titrées seulement par leur numéro d'ordre, sont construites comme les séquences d'un récit à partir de segments interconnectés, formant, dit le compositeur, les esquisses d'un récit de voyage, des récits d'ailleurs.
Tout de suite on est parti, en bateau, ou plutôt en train, un voyage de saccades, à travers des espaces immenses. Comme une suite d'étincelles, de frottements de silex, une musique qui racle et qui s'envole. Les deux premières minutes posent le motif qui reviendra régulièrement, plus ou moins varié, dans cette immense suite de près d'une heure et demie. Tout véritable voyage brûle, consume. Les notes fusent en fumées, se diffusent en ombres portées. Les synthétiseurs rendent vaine la question de l'identification des instruments. On avance dans la brume des harmoniques diffractées, des bourdons écrasés en longues traînées granuleuses. C'est magnifique, on sait déjà qu'on suivra Asher jusqu'au bout.
Quelques sons enregistrés, des voix mêlées en boucles courtes, ouvrent la deuxième fiction, puis c'est une guimbarde dirait-on qui nous guide dans un monde de micro griffures, de levées sonores, de volutes. Revient l'impression d'un moteur discret, de clapets et de pistons, mais enveloppé de voiles de vibrations. Cette fiction-là ne cesse de se vaporiser, de repartir sous l'impulsion de la fausse guimbarde. Elle est au croisement de trajectoires mystérieuses, toujours au bord de la disparition, toujours aussi au bord d'une extase, de découvertes troublantes, comme à l'orée de territoires rimbaldiens.
Quelques sons enregistrés, des voix mêlées en boucles courtes, ouvrent la deuxième fiction, puis c'est une guimbarde dirait-on qui nous guide dans un monde de micro griffures, de levées sonores, de volutes. Revient l'impression d'un moteur discret, de clapets et de pistons, mais enveloppé de voiles de vibrations. Cette fiction-là ne cesse de se vaporiser, de repartir sous l'impulsion de la fausse guimbarde. Elle est au croisement de trajectoires mystérieuses, toujours au bord de la disparition, toujours aussi au bord d'une extase, de découvertes troublantes, comme à l'orée de territoires rimbaldiens.
La troisième fiction s'enfonce dans le désert des voix perdues avec des bolides bourdonnants. Tout s'embrase au ras des textures fuligineuses, hoquetantes, et soudain la lumière se lève sur la cohorte des poussières, tournoie un peu, miroite, et se fond dans le paysage flou d'un rêve de douce harmonie. La guimbarde, cette fois comme coassante, réapparaît au début de la quatrième fiction, puis se transforme en micro pétillements. Asher se plaît à superposer une trame fine de gestes sonores minuscules et des vagues de sons tenus, à les intriquer jusqu'à une opalescence miraculeuse. Des bulles ne cessent d'éclore, de rayonner comme de multiples petits soleils, véritables mirages des sables sonores. La cinquième fiction semble d'abord plus conventionnelle dans ses vagues d'orgue qui se balancent à des vents invisibles. Toutefois, par un jeu de transformations, Asher dérape peu à peu dans sa pampa à lui d'apparitions, c'est-à-dire, de très courts segments interconnectés, de wagons pulsés jusqu'à scintillation irréelle. Au fur et à mesure de l'avancée dans la suite, les sons se diffractent dirait-on toujours plus, comme dans l'incroyable sixième fiction qui fonce dans un poudroiement sans fin de particules irisées. À chaque nouveau départ, la musique se construit par grappes serrées d'étincelles qui diffusent leur énergie à des formes nouvelles, conflagrations intériorisées à la puissance sourde...
Le disque se poursuit avec deux fictions au carré, si je puis dire, des récits élaborés et plus seulement des esquisses. Deux fictions de près de dix-huit minutes (la 7) et de quinze (la 8). La septième émerge d'ondes brouillées, se propage tel un vol de frelons tandis que sonnent des cloches agitées. Un monde fêlé agonise pour laisser place à des poussées plus calmes, à une avancée solennelle vite disparue, absorbée, et le récit renaît, patient et têtu, suite de cloques graves surmontée d'un chapeau de bourdons vibrants et traçants. La pièce alterne série d'enlisements et renaissances dans un savant jeu de métamorphoses. C'est un Arthur Rimbaud imaginaire dans les sables de l'Abyssinie, semi enfoui, et qui repart, poussé par son idée fixe : partir, partir... C'est Blaise Cendrars traversant l'Asie dans le Transsibérien au rythme lent des soubresauts du train sur les rails dans l'âcre fumée de la locomotive. Au bout, il y aura quand même la révélation. Le trajet parsemé d'épreuves est initiatique, sous la houlette de la guimbarde synthétique qui réapparaît dans la huitième et ultime fiction. La guimbarde n'est-elle pas l'instrument aimé des nomades de tous les pays d'Eurasie ? Les sonorités sont feuilletées, pailletées, striées, rugueuses : elles tracent une route de micro bondissements, dégagent une euphorie délicate et secrète teintée de filaments mélancoliques, le synthétiseur prenant parfois des textures proches de l'accordéon. Jusqu'au bout, ça pétille et crépite en semi sourdine. Le voyage n'aura pas de fin...
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Un immense poème sonore au rythme lent des caravanes irréelles ! Treize ans après ses Untitled Landscapes I, Asher Tuil reste un maître de l'Imaginaire.
Paru début mai 2025 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 8 plages / 1 heure et 26 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :