Bryan Senti & Dominic Bouffard - Killing Horizon
Publié le 27 Mai 2025
Paru en octobre 2024, il est sans doute bien tard pour présenter ce disque que je retrouve parmi mes nombreux fichiers. Allons, peu importe !
[À propos des compositeurs et du disque]
Killing Horizon est le fruit de la collaboration entre Bryan Senti, compositeur, violoniste et altiste latino-américain installé à Los Angeles, et le compositeur, artiste interdisciplinaire et guitariste anglo-franco-algérien Dom(inic) Bouffard, né à Londres. Si le premier combine des influences latino-américaines et néo-classiques, le second a commencé sa carrière dans des groupes de rock alternatif, a travaillé ou collaboré avec Robert Wilson ou Lou Reed , développé des projets dans le monde du théâtre, de la dance et des installations sonores immersives. Ils ont composé chacun de leur côté, enregistré dans leur studios personnels respectifs à LA et Londres. Noah Hoffeld a ajouté son violoncelle à distance depuis le nord de l'état de New-York.
Le titre fait référence en astrophysique à l'horizon de Killing en liaison avec certains trous noirs et leurs limites. Indépendamment de cette signification scientifique, rien n'empêche plus simplement de comprendre à peu près « tuer l'horizon » ou « L'horizon meurtrier », ce qui colle assez bien à la musique des deux compères.
Dom Bouffard est aux guitares et à la grosse caisse, Bryan senti au violon, à l'alto, au piano, au saxophone et aux synthétiseurs. Plus le violoncelle de Noah Hoffeld déjà mentionné. Et la guitare réamplifiée par Julian Wright dans un studio londonien.
[L'impression des oreilles]
"Drift" (Dérive) ouvre sur un vaste espace parcouru de turbulences amplifiées, avec comme des voix enchâssées dans l'horizon que lacère la guitare, puis le piano dessine lentement un paysage apaisé, accompagné par une guitare basse. C'est un paysage qui s'estompe, coule dans l'ombre, peut-être le paysage stérile de la couverture, mais une fin presque rock réanime la fresque grandiose. "The Ground" (Le sol) rampe au ras des graves, plombé de bourdons opaques, avec des déchirements et des frottements comme de créatures infernales. On semble attiré par un vortex inquiétant, l'entrée des Enfers qui sait. La musique est vent de panique, précipitations palpitantes, fusions intérieures, se rétracte dans une atmosphère raréfiée, presque paisible : le pire semble avoir été conjuré !
Le titre 3, "Rain", suggère un monde alourdi : basses ralenties, sourdines en semi-lumière, cliquetis obscurs, rares échappées courbes. Puis l'horizon, saturé, se défait sous la pluie noire d'une immense mélancolie. "Cathedral" explose en gerbes successives tandis qu'une marche implacable sous-tend des orages troubles, que s'entendent par moments des répliques de la grande catastrophe. Killing Horizon est comme la plainte des vestiges d'un monde détruit : tout ne cesse de mourir, de retomber, même "Elevation" (titre 5) se retourne en descente pathétique, hanté par le violoncelle spectral qui semble planer sur une mer d'ossements dans une atmosphère apocalyptique...
Dans ce monde d'après, "Circle" serait la survivance déréglée du monde perdu. Même ici, l'harmonie se brouille vite, dégénère en boucles comme autant de bouches torves sur de souterraines émanations de perdition. Pas étonnant qu'on finisse par "Mirage" (titre 7) : la musique peine à se frayer dans l'épaisseur de l'enfouissement, et si elle finit par s'élever, c'est pour sembler une sirène d'alarme alanguie sur des lambeaux pris dans des gangues sourdes. Certes, elle tente de reprendre de la force, mais elle est engluée, retombe dans une brume agonisante.
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Un témoignage musical assez juste de l'ambiance de fin de monde liée à la récente sinistre pandémie.
Paru en octobre 2024 chez Naïve (Paris, France) / 7 plages / 37 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :