Bruno Duplant & Judith Wegmann - Univers Parallèles / Des Nuits et des Jours
Publié le 1 Octobre 2025
[À propos du compositeur, de la pianiste et du disque]
Bruno Duplant ? Ce compositeur français prolifique a collaboré avec des instrumentistes et des compositeurs pour nous donner quelques-uns des très grands disques de ces dernières années. Avec le pianiste belge Guy Vandromme, ce fut le double CD L'Infini des possibles en 2021 ; avec le pianiste néerlandais Reinier Van Houdt, le triple Lettres et Replis en 2022 ; avec le compositeur et instrumentiste néerlandais Machinefabriek Edge of Oblivion en 2024... À chaque fois, la collaboration signifie de fait une co-création, soit parce que l'instrumentiste est conduit à des choix personnels, soit parce que l'autre musicien dialogue avec lui à monde égal.
Bruno Duplant s'intéresse à la création de fiction, dans le but de retranscrire un univers fantasmagorique ancestral et secret. Les fantômes et les miroirs sont au cœur de cet univers ouvert sur les inconnus qui résistent ou échappent à nos outils conceptuels.
Pour Univers parallèles - Des Nuits et des Jours, il a fait appel à la pianiste et chambriste suisse Judith Wegmann, qui complète sa carrière classique par l'exploration d'un champ expérimental et contemporain. Peut-être parce que celle-ci est également fascinée par la thématique du temps.
[L'impression des oreilles]
Sous la maison de la raison...
Le grand piano Yamaha de Judith Wegmann sonne parfois comme un piano préparé, avec Bruno Duplant qui griffonne des textures en arrière-plan, comme sur un vieux polaroid. On entend des sortes de grognements bourdonnants, des glapissements glissants. Où sommes-nous ? Dans un monde incertain, une chambre aux fantasmes. Des formes font mine d'apparaître, bulles dans un continuum à demi effacé, s'éclipsent. Tentatives d'apparition, tout au plus, cela leur suffit. La ligne est un suite de traces, de rêveries, parallèles au monde dit réel. Le piano n'appelle pas, ne nomme pas, il est complice de la discrétion des dispositifs acoustiques et électroniques de Bruno Duplant. Il est leur relatif relief, clouant une couture élégante et presque dansante sur leurs toiles trouées, leurs gouffres inquiétants. Ainsi se construit une musique authentiquement fantastique qui n'a plus rien à voir avec les narratifs romantiques à la Berlioz, mais qui est dans le droit fil de l'inquiétante étrangeté freudienne : Das Unheimliche... L'ailleurs menace d'envahir, de prendre la place, de biais, sournoisement, à coup de glissendos courbes, d'abois rentrés, seulement il se désagrège avant de se solidifier. La musique de Bruno Dumont est la forme même de la hantise, elle n'est pas faite pour la scène et les lumières. Même lorsqu'elle s'affirme, vers vingt-cinq minutes, qu'on croit qu'elle va devenir le Réel, que le piano prend des allures grandioses, des vents s'engouffrent entre les notes, la caverne creuse le discours, et tout part en charpie, les fantômes gémissent lamentablement, la mélodie se fait plainte, et c'est le retour de l'énigmatique, de l'effrayant. Les draps en lambeaux fuient parmi les décombres, seraient-ce des os qui cliquettent, des planches qu'on rabotent ? Les poncifs se dérobent, jouent à cache-cache, reste la ligne de temps marquée par le piano, à demi rongée par l'informe sous-jacent. Complice, écrivais-je du piano plus haut, dernier rempart aussi contre le rampant, la tête haute d'une boucle répétée comme dernière arrête dorsale...contre les monstres !
-----------------------
Bruno Duplant scrute les ombres, magistralement.
Paru le 26 septembre 2025 chez Moving Furniture Records (Amsterdam, Pays-Bas) / 1 plage / 42 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :
/image%2F0572177%2F20170208%2Fob_fdd513_duane-pitre-bridges.jpeg)
/image%2F0572177%2F20250927%2Fob_df9cc7_bruno-duplant-judith-wegmann-univers.jpg)
/image%2F0572177%2F20251001%2Fob_1089b7_duplant.jpg)
/image%2F0572177%2F20251001%2Fob_d8f64e_portrait-judith-wegmann-2024-6-square.jpg)