Publié le 31 Mars 2009

an anthology of noise and electronice music / Sub Rosa (2)
   Le second volume de l'anthologie parue chez Sub Rosa s'ouvre sur un court morceau emblématique de l'étrangeté  véhiculée par la musique électronique. "Incantation for tapes", composé en 1953 par Vladimir Ussachevsky et Otto Luening, deux musiciens respectivement d'origine allemande et russe ayant tous les deux émigrés aux États-Unis, mêle ondulations sonores, voix mystérieuses, gongs, échos, pour créer une ambiance mystico-éthérée très prenante. L'auditeur, transporté, est alors prêt à découvrir les différents "visages" de la musique électronique. "Visage V" est d'ailleurs le titre suivant, une pièce de la fin des années cinquante de Luc Ferrari : musique concrète façon Groupe de Recherches Musicales, collage disparate peu enthousiasmant. Ce double Cd réserve heureusement de belles surprises. Le très atmosphérique "Song"(2002)de Tod Dockstader, extrait d'un vaste cycle baptisé "Aerial", ample pièce telle une nébuleuse ondoyante, à la fois ténue et tenace. "Music of the sphere"(1938) de Johanna M. Beyer, musique cristalline pour sirènes cosmiques, à la grâce dangereuse qui associe acoustique et électronique. Morton Subotnik est représenté par "Mandolin"(1962), composition en perpétuelle métamorphose d'une superbe plasticité sonore.

 

 
L'anglaise Daphne Oram, avec "Four Aspects"(1960), joue subtilement avec des harmonies construites sur les fréquences les plus basses pour susciter un mini-opéra dramatique et poétique. "Emily"(2003) de Robin Rimbaud, alias Scanner, est d'une beauté bouleversante, avec pour point de départ une conversation téléphonique : voilà un musicien que vous risquez de retrouver bientôt ! Quant au "Quintet"(1967-68) de Hugh Davies, une performance associant 6 haut-parleurs, onduleurs, cinq microphones et cinq artistes dans un jeu de réverbérations, force est de reconnaître que, passé un début assez ingrat, le morceau invente en effet un nouveau quintette. C'est toutefois loin d'être mon morceau préféré... "Space travel with changing choral textures" (1983) de Alan R. Splet, collaborateur musical de David Lynch, renoue avec la veine atmosphérique de ce premier cd : titre limpide pour une œuvre sombre, nuage insaisissable. Kim Cascone, avec "Zephirum Scan"(2002) conclut cette première moitié avec une composition qui travaille en finesse sur la nature spectrale du son.
   Le second disque est très différent : rythmé, industriel, bruitiste, brutal même. Sean Booth et Rob Brown, les deux membres d'Autechre, ouvrent le bal avec  "Bronchus One.I"(1991), géométries rythmiques élaborées sur fond pulsant, superbe début suivi par l'un des plus étonnants titres de ce second volume, "On/Off Edit"(2001) de Yoshihiro Hanno, alias Multiphonic Ensemble, pièce qui fractionne à l'ordinateur un morceau de piano virtuose, hallucinant au casque, une merveille de précision. J'accroche encore à l'intense "Torture-Bodyparts (2001) de Guy Harries, sorte d'inventaire litanique d'éléments insupportables dit sur une rythmique pointilliste. Je suis peu réceptif aux morceaux qui suivent, le bombardement sonore effarouchant mes délicates oreilles, à l'exception de "Lathe"(1988) de David Lee Myers, alias Arcane Device, magnifique travail sur les souffles et vents (démoniaques !) à base de sons rétroactifs de guitare (nous dit la pochette aves prudence, tant les sons sont étranges...). Pour les morceaux industriels, je leur préfère de beaucoup les compositions d'Annie Gosfield, ,à laquelle j'ai consacré au moins deux articles (vous avez les deux liens séparément...). Je reconnais toutefois que le morceau de Laibach, "Industrial Ambients"(1980-82), est impressionnant de rigueur glacée.
 
Paru en 2003 chez Sub Rosa / 10 et 11 titres / 70 et 65 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 28 Mars 2009

Bruit et musiques électroniques : l'anthologie Sub Rosa (1)
   Les musiques électroniques sont régulièrement présentes dans ces colonnes : elles risquent de voir leur place s'accroître avec la découverte de cette anthologie magistrale menée par le label Sub Rosa depuis quelques années (toujours difficile avec eux d'avoir les années exactes, mais sans doute 2002...peu importe à dire vrai). Tous les volumes, qui comprennent deux cds généreux,  sont le fruit des recherches de Guy Marc Hinant, membre fondateur du label bruxellois. Ils sont accompagnés d'un livret d'une quarantaine de pages qui situe chaque compositeur, dessine des filiations. Beaucoup des morceaux proposés sont inédits, certains retrouvés dans des archives privées. L'anthologie est tantôt chronologique, tantôt a-chronologique, suscitant des rencontres, des côtoiements qui sont tout à fait dans l'esprit de ce que j'essaie de faire. Le présent article est consacré au volume 1 ; j'ai renoncé, comme je l'avais prévu initialement, à présenter aussi le second : il n'est évidemment pas question de doubler les excellentes présentations de Hinant, ce sera d'ailleurs vrai pour les volumes suivants. Je superpose un nouvel itinéraire à celui des disques, je cueille quelques merveilles sonores dans ce dédale extraordinaire qui témoigne d'une des plus singulières aventures du vingtième siècle et du nôtre.

   "an anthology of  noise & electronic music/ first a-chronology 1921-2001" commence aux origines de la musique électronique avec une des nombreuses curiosités de cette entreprise. On y entend sans doute le premier morceau composé pour une machine à bruits par l'italien Antonio Russolo, frère de Luigi Russolo, compositeur et théoricien  auquel on doit dès 1913 le manifeste "L'Art des bruits", qui se joignit au mouvement futuriste de Marinetti. La machine de Luigi portait le poétique nom d'intonarumori. Il donna en 1921 un concert à Paris recourant à 27 de ces instruments. "Corale", courte pièce de moins de deux minutes, est comme un au revoir mélancolique aux fastes orchestraux d'antan. Dès le titre suivant, les bases de la musique concrète sont posées en 1929-30 par Walter Ruttmann dans "Weekend", étonnant collage de bruits et de fragments de dialogues sans images de ce cinéaste d'avant-garde qui fit ensuite partie des services de propagande nazie. Le parcours se poursuit avec les pionniers des années 50, Pierre  Schaeffer et Henri Pousseur, le premier livrant de véritables poèmes sonores avec ses "études de bruits", ici la très élaborée "Etude violette" de 1948, le second parmi les premières compositions entièrement électroniques, notamment ce "Scambi" de 1957, accompagnement sonore idéal pour un tableau de Tanguy ou de Miro. On passe ensuite par Gordon Mumma, -dont j'ai chroniqué l'oeuvre pour piano, qui nous plonge avec "Dresden Interleaf 13 february 1945" dans un univers industriel inquiétant, ponctué de silences imprévisibles.

   Puis vient un fragment retrouvé d'une improvisation d'Angus MacLise, Tony Conrad et John Cale, "Trance#2" , témoin de ces longues nuits folles des années 60, dans la mouvance de La Monte Young : électronique inspirée à partir d'orgue et de percusssions métalliques, l'un des joyaux du premier disque. Mais je m'aperçois que me voici pris au piège du disque, que je suis parti pour tout passer en revue ? Cette anthologie bouscule toutes les idées reçues sur ce genre de musique, beaucoup plus varié qu'on ne le pense. Je suis converti à l'abstraction, à la poésie bruitiste !! "Untitled#1", de Philip Jeck, Ottomo Yoshihide et Martin Tétreault,  convoque toute une mémoire sonore avec une grande subtilité, tandis que "Oktober 24, 1992, Graz, Austria" du Survival Research Laboratories des américains Mark Pauline et Gerald Jupitter-Larsen (je n'invente pas, foudre et déformation en perspective...) nous soumet à un bombardement  très réglé de sons déchaînés, bouillonnants et couinants comme dans un chaudron cosmique. On ne sera pas surpris de retrouver les allemands de Einsturznde Neubauten, mais conquis par un titre presque boy-scout, bruits d'ustensiles de cuisine amplifiés et modifiés dans un climat très apaisé, quasi planant., un très beau moment. Le premier cd se termine avec "Aspekt"(1966) de l'allemand  Konrad Boehmer, l'une des musiques idéales possibles pour Les Oiseaux d'Alfred Hitchkock : crépitements, envols, nuées, dans une atmosphère sous haute tension...
 

 

   Le disque 2  se concentre sur les années 50 à 2001, faisant se côtoyer John Cage et Sonic Youth, Yannis Xenakis et Paul D. Miller. Ce n'est pas l'un des moindres mérites de cette anthologie que d'effacer les clivages entre musique sérieuse ou savante et musiques électroniques nées des expériences de groupes pop. D'abord parce que les frontières n'existent pas, et l'on s'aperçoit de tout ce que les djs d'aujourd'hui doivent aux musiciens chercheurs, avant-gardistes que l'on croyait confinés dans leurs laboratoires acousmatiques. Ensuite, parce que les compositeurs de musique contemporaine sont beaucoup plus fantaisistes, iconoclastes, inventifs, extravagants que nombre de musiciens électro qui feraient bien de toute urgence d'écouter les incroyables univers sonores concoctés au fil des décennies.  Le coréen Nam June Park est à l'aise dans un "Hommage à John Cage" de 1958-59 qui est déjà un fabuleux remix d'un des musiciens les plus imprévisibles du vingtième siècle. Quant à Edgar Varèse, cet ascète de la musique électronique, qui garda le silence pendant des années en attendant les progrès technologiques qui rendraient possibles la réalisation des sons qu'il désirait, il est représenté par son magnifique "Poème électronique" de 1957-8, émouvant et drôle, d'une finesse de composition imparable. L'autre sommet de ce deuxième disque  est dû à Paul D.Miller, alias DJ Spooky That Subliminal Kid , mixeur hyper-talentueux comme un David Shea : les atmosphères se succèdent au long des huit minutes de "Bundle / Conduit 23", morceau fascinant, frémissant, qui mêle instruments acoustiques et sons électroniques dans une fresque dense, nourrie de fragments mélodiques splendidement retravaillés.  Pour finir, un morceau de 30 minutes de Pauline Oliveros, "A little Noise in the System", précède le "One minute"  de Ryoji Ikeda : une implacable progression électronique bruitiste générée par un Moog System  avant la délicatesse fracassée du japonais...

Paru en 2005 chez Sub Rosa  / 2 CD /  18 plages / 145 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 21 Mars 2009

The Gutter Twins : "Saturnalia", le rock débridé.

  Meph. - Tu vas vraiment le faire ?
Dio. - Quoi ?
Meph. - Ton article sur les Gutter Twins ?
Dio.- Et pourquoi pas ?

Meph. - Tu n'en as pas assez d'arriver toujours après la bataille ?
Dio. - Là tu exagères, je suis souvent le premier ou l'un des seuls à parler de certains compositeurs.
Meph.- T'emballes pas, mais le disque est sorti en mars 2008...
Dio. - Et alors ? Je te rappelle que ce blog a pour titre INACTUELLES : A bas la tyrannie de l'actualité, tu as déjà oublié ? Quoi, parce que le disque a un an, on n'aurait plus le droit d'en parler ? Aux oubliettes, à la morgue, les jumeaux gouttière, les jumeaux caniveau, z'êtes trop vieux, z'êtes raides morts !
 Meph. - Tu ne pourrais pas chroniquer les disques qui sortent maintenant, histoire d'être en phase avec la curiosité insatiable des internautes ?
Dio. - Tu connais quelqu'un qui arrive à suivre toutes les sorties, toi ? A moins d'être rentier du CAC 40 ou héritier d'un magnat du pétrole et de passer son temps à éplucher tous les catalogues...Un bon disque reste bon un an après, non ?
Meph. - Je te le concède. Mais tu as dit "un bon disque"...Et tu n'oublierais pas ton fumeux sous-titre, Musiques Singulières ? Parce que moi, je n'entends rien de singulier dans Saturnalia, rien d'extraordinaire ou d'inouï. De la bonne pop, oui, du rock bien envoyé, certes...mais tu galvaudes ton blog avec ce genre d'article !! Il y a des blogs spécialisés pour cette musique sans surprise...
Dio. - Tu déblogues complètement, Méph. Tu me déchois, sale orgueilleux d'archange qui croit briller plus que les autres. D'abord, je te rappelle que j'ai horreur des spécialistes. Je suis comme Stendhal, un dilettante. Je butine ce qui me plaît où ça me plait. De plus, tu fais fi des catégories dont la liste figure dans la colonne de droite. Saturnalia sera mon seizième article dans "Pop et alentours" .
Meph. - Je ne réponds même pas à tes invectives. J'ai l'habitude, depuis le temps. M'enfin, tu ne vas tout de même pas me dire que Greg Dulli et Mark Lanegan se haussent au niveau de Portishead, Radiohead...
Dio. - ...Talking Heads, tant que tu y es, mais où as-tu la tête ? Je ne chronique pas que des génies. Pour tout te dire, j'ai découvert ce disque récemment, mea culpa...j'ai tout de suite adoré la pochette...
Meph. - Ah ! Tu es trop drôle ! Monsieur le Singulier ne s'intéresse qu'à l'emballage...
Dio. - Ton absence de sens artistique me sidère. T'es trop beau pour voir la beauté ailleurs, Narcisse noir, va. Ce ciel sombre, cet éclairage dramatique, c'est tout l'album. Saturnalia, le temps du débordement, de la violence sourde et lourde. As-tu écouté "All Misery/ Flowers" ?
Alors, tu commences à comprendre ? J'aime cette densité brûlante, le travail sur la pâte instrumentale. Les guitares sont rutilantes, relayées par l'orgue, l'harmonium, un Fender Rhodes épais à souhait comme sur le très bluesy "Bête noire", sans parler de quelques cordes et d'une section rythmique efficace. Et puis, quelles voix ! Grave, profonde, de crooner, de bluesman de Mark Lanegan, qui accroche tous les affects dans sa tourmente, ma préférée, mais celle de Greg Dulli n'est pas mal non plus, plus haut perchée, un peu apprêtée, maniérée, propre aux inflexions les plus subtiles. Arrête de faire ton dédaigneux, tiens, écoute "Circle the Fringes", notamment l'intro...
Meph. - Je ne comprends pas comment tu peux écouter à la fois Chas Smith et ces chats de gouttière...Tu ne me diras pas que tu apprécies "Idle hands", on dirait du Rammassechien !

Dio. - Du Rammstein, espèce d'animophobe ! Ecoute les mots que tu emploies, et tu entendras le rapport secret qui lie ces musiciens.

Meph. - Si tu crois que tu m'impressionnes avec du vocabulaire qui n'est même pas dans le dictionnaire, forgeur à la noix... Quant à tes rapports secrets, peccadille, tu verses dans le ridicule faussement mystique.

Dio.- Tu devrais pourtant aimer, tu sais. Tu n'as pas humé les relents sataniques, toi ?
Meph.- N'est pas diabolique qui veut, je hais les gothiques..

Dio.- Sacré contradicteur, ça te ferait mal d'être d'accord, c'est ça qui te chatouille, avoue. Décontracte-toi, le début de l'album m'emporte, moi. "The Stations", suivi de "God's children"...J'aurais dû m'en douter, tu bloques sur les titres. C'est pas le chemin de croix, vieux soufré, et tu devrais aimer les enfants de Dieu si tu rejettes tes sectateurs...
Meph.- Tu baisses, vraiment !
Dio.- La prochaine fois, je vais t'étonner.
Meph.- Sinon je cesse de te tenter...
 

Paru en 2008 chez Sub Pop  / 12 plages / 53 minutes environ                                          
 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 14 Mars 2009

Chas Smith, harmoniste des sphères.
   Le son se fait liane, lierre, il m'enlace dans sa lenteur courbe, je coule dans la nuit vêtu de sa lumière. Le monde a disparu très loin là-haut, descente dans l'infini, bruissements de bracelets des orbes de planètes, grondements épisodiques des murènes filles du chaos et du vide abyssal...comme dans Alice au pays des merveilles, je n'en finis plus de chuter alors même que je n'ai plus de poids, que les dépouilles du moi se sont enflammées et désagrégées telles des étoiles filantes au contact de l'atmosphère, une formidable tranquillité sourd du cosmos parcouru de vrilles ardentes mais si lointaines, tout est loin, et soudain, on sait que tout cela est ici, en nous, on s'écoute, enfin, dans la confondante confusion du macrocosme et du microcosme, on a passé le mur du son... J'écris en écoutant le titre éponyme de Descent, cinquième album de Chas Smith sorti en 2005 chez Cold Blue Music. Cela fait un moment que je tournais autour de cette musique, ne sachant comment l'aborder, déconcerté, presque intimidé par sa discrète majesté, sa lumière impondérable.
Paru en 2005 chez Cold Blue Music  / 3 plages / 49 minutes environ

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Guitare hawaïenne
Guitare hawaïenne

Chas Smith est un indépendant, élève de Morton Subotnick et d'Harold Budd à la Cal Arts (California Institute of Arts). Passionné de recherches sonores, il pratique bien sûr très tôt le synthétiseur, mais il se passionne vite pour...la guitare hawaïenne, si en vogue dans la musique country.

   Rappelons que cette guitare , inventée dans les années 1880, se joue à plat, l'instrument posé  sur les genoux ou sur un support. La main gauche fait glisser sur les cordes un objet métallique, une barre en acier appelée "slide bar" ou "steel bar". Quel rapport avec la musique atmosphérique que vous pouvez entendre ci-dessous ? Aucun, en apparence. Il suffit pourtant d'en jouer autrement, de laisser filer les sons, les résonances, de modifier l'accord, et la "steel guitar" devient un synthétiseur étonnant, un orgue cristallin, diaphane. Associée à quelques instruments métalliques de sa fabrication, aux noms insolites comme la Copper box, le Que Lastas, le junior Blue, elle crée des paysages sonores chatoyants traversés de lentes iridescences. Chas pratique aussi la version la plus complexe de la guitare hawaïenne, la "pedal steel guitar", qui peut avoir deux ou trois manches. Une série de pédales permet de modifier les notes ; actionnées au moment où la barre métallique vient frotter les cordes concernées, elles font naître tout un monde d'harmoniques.  Sur un titre de Descent, il utilise une "guitarzilla", une guitare sur table à quatre manches, dont deux préparés et un avec cinq cordes basses, avec microphones des deux côtés des manches.

Chas Smith, harmoniste des sphères.

   La pedal steel guitar est à l'honneur sur Nakadai, réédition en 2008 sur le même label Cold blue Music d'un LP épuisé des années 80, réédition augmentée d'un morceau composé en avril-juin 2008, "Ghosts on the windows" (prolongement imprévu au disque de HRSTA chroniqué juste avant !) et d'un second datant de 1991 et titré "Joaquin Murphey", hommage à celui qu'on surnomma le "Charlie Parker de la pedal steel guitar".
    Quelques informations techniques me paraissaient nécessaires, car lors des premières écoutes, je ne voyais absolument pas ce qui pouvait produire un tel univers sonore, je m'imaginais des sources électroniques, ce qui n'est donc pas le cas, du moins si l'on fait abstraction des procédés de traitement et d'amplification très élaborés qui accompagnent ces instruments bien concrets, fruits de l'imagination d'un homme qui travailla dans la métallurgie pendant trente ans. Pour finir, je laisse la place à Chas Smith parlant de son approche de la composition : " On m'a souvent accusé de faire de la musique à base de drones, ce qui ne correspond pas à ce que je pense faire, mais j'utilise en effet des sons tenus et des structures qui évoluent lentement, ce qui, par comparaison avec le monde  frénétique dans lequel la plupart d'entre nous vivent, peut sembler statique. Cet immobilisme pourrait être pensé comme ayant une masse et une gravité, et comme il évolue lentement, cela pourrait donner l'impression d'être vu sous différents points de vue, comme une sculpture. Lorsque je compose, j'ai tendance à assigner des couleurs et des formes aux sons sur lesquels je travaille pour leur donner une composante visuelle et pour m'aider à garder leur trace. Et des pièces construites à partir de sons ne sont pas si différentes que cela des choses construites en métal : les outils et les matériaux sont différents, mais les techniques sont similaires."
  Sur la pochette de Nakadai, un tatouage de Chas Smith, anticipation visuelle des paysages sonores de ce musicien défricheur, qui trouve naturellement sa place dans les "Musiques singulières"...

Reparu en 2008 chez Cold Blue Music / 6 plages / 64 minutes environ
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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales

Publié le 8 Mars 2009

HRSTA, les fantômes de Saturne viendront vous baiser les yeux.

   Orgue-accordéon, guitares hurlantes et voix dans la nuit sépulcrale, c'est l'ouverture de Ghosts will come and kiss your eyes, troisième album de HRSTA (prononcer her-shta), groupe canadien mené par le chanteur et guitariste Mike Moya, un des membres fondateurs de Godspeed You ! Black Emperor, et membre actif d'autres groupes de Montréal. Que voilà un groupe de post-rock enfin convaincant ! Aucune des lourdes envolées de post-rockeurs n'ayant pas grand chose à faire entendre. Il aurait déjà fallu oser ce premier titre, Entre la mer et l'eau douce, cette mélopée mélancolique que j'entendrais bien comme musique du très beau film suédois de Thomas Alfredson, Morse. Les vampires rôdent dans les immenses forêts voisines, ils se plaignent, ils ont soif... L'étrange voix androgyne du chanteur entretient une atmosphère troublante dans les ballades suivantes, Beau village et The orchard. Quelque chose plane, on n'est pas si loin des premiers Pink Floyd, de la douce folie insidieuse de Syd Barrett : accords de guitare statiques, coups de gong lointains, atmosphère comme en lévitation, épaissie de bruits de chaînes traînées sous les bouleaux blafards. Il y a des oiseaux noirs dans le verger des songes. On va se réveiller, mais les anges sont déchus : "the orchard is burning", notre prison s'épaissit. L'orgue sonne à nouveau dans Tomorrow winter comes : l'église est vide, envahie de nuages toxiques que la guitare de Haunted Pluckley ne dissipe pas vraiment, en dépit de son petit côté latino, l'électricité monte jusqu'à recouvrir la voix perdue de Moya. On est passé de l'autre côté, les fantômes attaquent en nuées formidables dans l'halluciné Hechicero del bosque, voix chavirée, fêlée, guitares ensorcelées et grondeuses, le ciel est zébré d'appels, brusque chute de tension, tout semble se tordre de calme désespoir, avant le grand surgissement tournoyant final. Saturn of chagrin déploie sa plainte déchirante en nappes hantées d'échantillons, martelées, traversées de notes étrangement cristallines sur la fin. L'album, loin d'être une suite plus ou moins organisée de titres, propose un parcours d'une magnifique et envoûtante cohérence, un voyage vers le feu, celui de Kotori, avant-dernier titre incandescent. Purifié, vous êtes prêt à recevoir Holiday, bouleversante reprise des Bee Gees... Un disque inoubliable, je vous le dis, et qui hantera vos nuits !! 
Paru en 2007 chez Constellation / 9 plages / 42 minutes environ
Pour aller plus loin :

En ouverture de cet article : Merci à Mordumi pour avoir associé leur musique et les images sublimes du film d'Andréi Tarkovski, Le Miroir.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 11 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours