J'ai survécu ! Ils étaient en concert hier soir à La Cartonnerie de Reims, après Idem+Vunneny, et Oddatee, - très bien tous les trois, un peu court pour Idem, et pas moyen de s'endormir, je vous le garantis. Leur concert a été à l'image de leur dernier disque, "Gutter Tactics" : implacable, d'une rigueur formidable. Voici un trio, Dälek au micro, Oktopus aux machines et Still (?) sur une sorte de guitare préparée jouée à plat, qui s'engage totalement dans une musique d'une puissance sidérante. Le flux précipité des paroles se coule dans des nappes répétitives, industrielles, très noisy mais aussi atmosphériques. Le monde devient musique, coagulé par le flux hypnotique qui bat comme un cœur de foudre noire. Still, assis, gratte éperdument son manche sans lever les yeux vers le public, et Oktopus règne majestueux sur ses boucles, ses claviers qu'il déchaîne avec de larges gestes emphatiques, le visage baigné d'une grande sérénité. Tandis que la sueur dégouline sur le visage de Dälek qui empoigne, soulève son micro, tire convulsivement sur son pantalon flottant sur son corps trapu, les vagues lourdes, brûlantes, envahissent nos entrailles, massent notre cerveau soudain "débué" [je trouve ce mot, employé par Villon dans sa célèbre Ballade des Pendus, très beau, et je me permets de l'employer à peu près dans son sens originel que vous allez comprendre] de toute sa mauvaise eau des mornes jours. C'est le paradoxe de cette musique si sombre, dense, que de nous remplir d'une joie intense, d'une lumière fulgurante, sans doute en vertu de la loi des vases communicants : l'énergie concentrée des musiciens passe dans nos veines. Les échantillons se télescopent dans un climat d'apocalypse zébré de tournoiements de sirènes, de nuages de particules électrifiées. S'agit-il encore de révolte ? Les musiciens de Dälek sont des démiurges qui transforment le réel en lave. "Gutter Tactics" est une ode incandescente qui tente dans un geste superbe d'annuler la laideur du monde, et en fin de compte de la réenchanter en lui insufflant l'esprit de feu. C'est ma manière de gloser sur "A Collection of miserable thoughts Laced with wit", le sixième titre.
Dälek, au meilleur de sa forme, signe avec ce cinquième album l'un des plus forts de ce début d'année ! Le onzième titre lui conviendrait assez bien : "Atypical stereotype".
Paru en 2009 chez Ipecac Recordings / 11 plages / 50 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :